À tous les problèmes, une unique solution radicale : la violence

Ce tome contient les 2 miniséries (de 4 épisodes chacune) consacrées à Lobo : "The last Czarnian" en 1990, et "Lobo's back" en 1992, écrites et mises en page par Keith Giffen avec des dialogues d'Alan Grant, et dessinées et encrées par Simon Bisley (à l'exception de l'épisode 3 de "Lobo's back" dessiné et encré par Christian Alamy).


The last czarnian - Lobo est un chasseur de primes extraterrestre au caractère irascible, violent et brutal, qui n'éprouve d'affection que pour ses dauphins de l'espace. Il s'est fait enrôler dans une police de l'espace appelée L.E.G.I.O.N. '89 (Licensed Extra-Governmental Interstellar Operatives Network), menée par Vril Dox (un extraterrestre de la planète Colu, surnommé Brainiac, et apparenté à l'ennemi de Superman du même nom). Dans cette première histoire, Lobo doit aller prendre en charge Miss Tribb (une enseignante dont il garde un mauvais souvenir). Lobo s'est engagé à la ramener vivante à Cairn, la planète servant de base à l'organisation LEGION. Non seulement, Miss Tribb a un caractère difficile, mais en plus elle invalide le fait qu'il ait réussi à exterminer tous les représentants de sa propre race. Enfin elle est l'auteur d'une biographie non autorisée de Lobo. Pour couronner le tout, la nature publique de cette mission d'escorte fait que plusieurs factions se mettent à sa poursuite pour régler des comptes.


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Lobo's back - Le compte en banque de Lobo est au plus bas, mais il a la chance de trouver une proposition émanant de l'agence de Ramona : récupérer Loo, un individu en liberté conditionnelle qui s'est enfui. Alors que Lobo est sur sa trace, Loo pulvérise sa chambre d'hôtel au bazooka. Il s'en suit un duel homérique et sans pitié (= une véritable boucherie) et l'impensable se produit : Lobo meurt ; les problèmes commencent. Il se révèle être un hôte insupportable tant aux cieux qu'aux enfers. Que faire ?


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Au milieu des années 1980, Keith Giffen (au départ dessinateur) se fait remarquer en tant que scénariste avec son personnage loufoque Ambush Bug (en anglais), ridiculisant tous les codes des superhéros par l'absurde et la dérision, juste à coté de Superman et consorts. En 1987, il se voit confier les rênes de la Justice League International (en agnlais) pour la relance de la série après "Crisis on infinite earths". En 1989, il lance la série "L.E.G.I.O.N. '89" (avec Alan Grant et Barry Kitson), sorte d'incarnation de Legion of Super-Heroes (à laquelle il a souvent collaboré en tant que dessinateur, avec Paul Levitz, par exemple The great darkness saga, en anglais) dans la continuité présente. Il en profite pour y incorporer Lobo (qu'il avait créé avec Roger Slifer dans la série "Omega Men"), comme mercenaire et chasseur de primes. Par la suite, Giffen explique que pour lui Lobo est une caricature moqueuse des personnages réglant leurs conflits par l'exécution sommaire de leur opposant (comme Wolverine ou le Punisher). Mais le lectorat consacre Lobo comme un anti-héros cool et fun. C'est parti pour quelques miniséries, quelques numéros spéciaux et même une série mensuelle qui durera 5 ans.


Les maîtres mots de ces récits sont l'exagération, la testostérone débridée, l'absurde, l'humour, la caricature et le second degré. En tant que czarnian, Lobo a la capacité de guérir de n'importe quelle blessure (imaginez le pouvoir guérisseur de Wolverine, multiplié par 100, jusqu'à l'absurde), l'agressivité d'un Hulk d'un mauvais jour, et le machisme d'un Frank Castle en mode "je tue tout ce qui bouge". Cela aboutit à un récit très violent, jusqu'au sadisme en guise d'humour. Lorsque Lobo se rend compte que Miss Tribb reste capable de lui fausser compagnie, il lui coupe les jambes au dessus des genoux et elle passe les 2 épisodes suivants avec les moignons à l'air. Lorsque quelqu'un le fait attendre à un distributeur automatique de billets, il lui arrache les 2 bras que le lecteur voit voler en l'air le temps d'une case. Bisley dessine les personnages et les décors en ajoutant des petits trais fins et secs qui ajoutent une apparence griffée et acérée, renforçant l'impression de violence. Dans la deuxième minisérie, il ajoute encore des petites taches d'encre qui donne une impression de saleté, accentuant le caractère malsain des images. Il faut également rappeler que l'une des armes de Lobo est un crochet de boucher. En comparant les 2 miniséries, il est même possible de constater que Bisley montre plus en détails les blessures et les plaies dans la deuxième (un niveau même étonnant pour un comics tout public).


Et le machisme alors ? Lobo a une carrure impressionnante, couplé à une résistance défiant les lois de la biologie, sans parler de ses capacités de récupération. C'est un biker de l'espace, il s'habille en jean, il a des belles bottes de motard, une boucle de ceinture en forme de crâne, une coiffure en pétard, des gros favoris, un gros engin entre les jambes (c'est un ange qui le constate lors de son passage dans le plus simple appareil, au Paradis), et il n'existe personne d'encore vivant qui pourrait se vanter de s'être moqué de lui. Il boit comme un trou, et il fume comme un pompier. Simon Bisley en fait un être musculeux (au delà du possible), prompt à montrer les dents, avec une chaîne (à très gros maillon) enroulée au tour de son poignet droit à laquelle pend le crochet de boucher, une grosse feuille de vigne lorsqu'il est tout nu, des veines saillantes dès qu'il utilise sa force... Lobo est le seul individu de la galaxie à rester menaçant en chemise hawaïenne. Par ces aspects, Giffen ne ment pas lorsqu'il indique que son intention était de monter en épingle les aspects bas du front, réactionnaires et extrémistes des superhéros ténébreux et brutaux. Au premier degré, Lobo est un individu à la violence pathologique, au style de vie égocentrique, avec une absence totale d'empathie pour son prochain (= une menace pour la société). Au second degré, il s'agit d'un défouloir irrésistible contre toutes les petites frustrations de la vie en société.


Le pouvoir de divertissement de ces histoires ne se limite pas à ce jeu de massacre régressif et cathartique : chacun de ses créateurs apporte un degré supplémentaire d'excès humoristique. Keith Giffen n'éprouve aucune inhibition pour emmener son histoire au plus loufoque, tout en s'assurant que la succession de scènes forme un tout cohérent. À moins de lire ces histoires, vous aurez du mal à imaginer dans quelles circonstances Lobo participe à un concours d'orthographe (spelling bee) ou comment il organise un concert de death metal au Paradis, et quelle est sa réaction face à Death (oui, celle des Endless, la soeur du Sandman de Neil Gaiman, il ne respecte vraiment rien ce Giffen).


Simon Bisley est très à l'aise du début jusqu'à la fin pour fournir des images à la démesure du scénario. Le lecteur attentif remarquera quelques graffitis à l'unisson des goûts musicaux de Lobo (et de ceux de Bisley) : Ramones, Danzig, Steve Vai, Nuclear Assault, etc. Bisley a un don pour la représentation de la violence à des fins comiques : à la fois elle fait mal et elle fait sourire par son caractère exagéré. Il est impossible de se retenir de sourire quand il écrase avec ses poings de petits êtres tout mignons qui essayaient de l'aider, mais qui ont fini par l'exaspérer avec leur gentillesse : un massacre gratuit et drôle du fait de l'extermination de ces gentils gugusses. Si la première histoire évite d'être trop graphique dans les horreurs, pour la deuxième cette restriction est levée et l'humour visuel à base d'ultraviolence fait des grosses taches. Par exemple, Lobo envoie son poing dans la tête d'un soldat. La partie supérieure du crâne est désolidarisée de la partie inférieure avec du sang, un gros bruit d'arrachement et de la matière corporelle qui gicle. Âmes sensibles s'abstenir. Il y a aussi le cas du gérant du transit des âmes dont le visage subit une vilaine maladie de peau pustuleuse qui va croissante au fur et à mesure que le problème posé par Lobo prend de l'ampleur. C'est très drôle de voir ainsi se manifester physiquement la perte de contrôle de cet individu, c'est aussi très répugnant. Il faut voir également Lobo descendre une escadrille d'anges, ou s'en prendre à des dieux de panthéons divers.


L'apport d'Alan Grant est également impressionnant. À l'époque Keith Giffen n'avait pas confiance dans sa maîtrise de la langue anglaise, et il travaillait avec des scénaristes chargés de peaufiner les dialogues (comme J.M. DeMatteis pour la série Justice League International). Alan Grant était déjà connu pour avoir développé la version de référence de Judge Dredd (avec John Wagner) et il s'était installé sur la série Detective Comics (une série consacrée à Batman). Il écrit des dialogues concis et ciselés donnant une vraie façon de s'exprimer à Lobo. La force de ses dialogues éclate lorsque les petits êtres tout mignons parlent à Lobo en faisant rimer leur fin de phrase : hilarant. Les remarques acerbes et méprisantes de Miss Tribb valent leur pesant de cacahuètes et le mode d'expression de Vril Dox évolue au fur et à mesure qu'il perd de sa superbe et qu'il se rend compte de l'ampleur des dégâts. Il ajoute des extraits de la biographie non autorisée dans la première histoire.


Avec ces 2 histoires, le lecteur découvre un personnage dérivatif et caricatural, dans des récits délirants, baignant dans une violence exacerbé et un humour ravageur allant de dialogues vifs et drôles, à des dérapages contrôlés dans l'absurde, avec des illustrations au diapason, ajoutant encore à l'humour noir. La série mensuelle n'a pas fait l'objet de réédition, mais il est possible de retrouver Lobo écrit par Giffen dans Lobo unbound (2003/2004, en anglais), et par Scott Ian (le bassiste d'Anthrax) dans Highway to Hell (2010, en anglais).

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le 29 sept. 2019

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