Ce tome comprend les épisodes 1 à 6 de la série initialement parue en 2010/2011.


Ce n'est pas comme ça que ça se termine. Cette phrase cryptique revient à plusieurs reprises dans la narration très fragmentée dans différentes époques. En 1953, à New York, un jeune homme blond est approché par 2 hommes en costume cravate. Il monte dans leur voiture, son père l'avait prévenu que ce jour arriverait. Ils l'amènent à Rome, dans une ville souterraine monumentale sous la ville sainte, habitée et gérée par une société secrète. En 2620 avant Jésus Christ, l'Égypte est le théâtre d'une invasion extraterrestre repoussée grâce à la vaillance et à l'intelligence d'un chef armé d'un bouclier qui sera passé de génération en génération comme le symbole de l'inventivité de l'humanité. En 114, en Chine, un militaire haut gradé parlemente avec un Celestial de sexe femelle. En 1495, à Florence, Léonard de Vinci observe des perturbations dans l'astre solaire. En 1582, Galilée assiste à l'arrivée du dévoreur de planètes et de son héraut. En 1956, le père du jeune homme du début arrive dans la cité monumentale. Et ce n'est qu'une moitié de ce qui se passe dans le premier épisode !


Jonathan Hickman a commencé par écrire et dessiner des séries indépendantes telles que Nightly News et Pax Romana pour Image Comics. Puis il a été embauché par Marvel où il a développé une série d'espionnage "Secret Warriors" à la construction alambiquée. Et il a été choisi pour reprendre la série Fantastic Four (Une solution pour tout). "S.H.I.E.L.D." est donc la troisième série qu'il écrit pour Marvel. Dès le début, 5 éléments frappent le lecteur.


(1) Hickman a opté pour une construction complexe qui ne suit pas la linéarité chronologique. Chaque époque dispose de ses héros facilement identifiables. Hickman bénéficie des illustrations de Dustin Weaver (dessins & encrages) dont le style s'apparente plus à un dessinateur traditionnel européen qu'un dessinateur de comics. Cette édition est dans un format un peu plus grand que les comics qui rend vraiment justice aux illustrations. Weaver a bien bossé sur ses références d'époques et ça se voit dans ses dessins. Le lecteur a vraiment l'impression d'être dans l'atelier de Léonard de Vinci avec autour de lui les machines qu'il a construites, à base de bois et de pièces métalliques ouvragées. Les costumes respectent la vérité historique. La cité chinoise présente les caractéristiques architecturales attendues, en particulier en ce qui concerne les matériaux des toits. Donc, même si le fil narratif ballade le lecteur d'un moment à un autre dans le temps, la qualité des illustrations permet de ne jamais être perdu.


(2) Le passage d'une époque à l'autre de sert pas simplement d'alibi pour introduire de la variété. Hickman met en scène ces scientifiques et inventeurs célèbres sans donner de leçon d'histoire. Mais la lecture de l'histoire s'enrichit fortement lorsque le lecteur sait en quoi les découvertes de Léonard de Vinci, Galilée, Nicholas Tesla et les autres ont changé le quotidien de l'humanité. Là aussi, Weaver a bien fait ses devoirs et il apporte une touche de ressemblance pour ses hommes célèbres, sans être servile.


(3) D'une manière plus inattendue, Hickman enracine son récite dans la mythologie Marvel. Ce tome n'établit pas le lien entre cette version du SHIELD et celle plus connue de Nick Fury. Par contre les années 1950 sont l'occasion de retrouver les papas de 2 superhéros de premier plan dans l'univers Marvel. Weaver a effectué les recherches nécessaires et leur apparence est cohérente avec les précédentes. Hickman va également piocher des éléments dans Eternals (en anglais), une série de Jack Kirby. Le récit a plus de saveur si le lecteur sait ce que sont les Deviants. Il reste possible de lire ce récit sans rien connaître à l'univers Marvel, mais certains niveaux de lectures seront alors perdus.


(4) Une caractéristique assez surprenante de cette histoire est l'absence quasi-totale de femmes. Il n'y a qu'une femme occupée à tatouer, une compagne temporaire de Tesla et la Celestial. À part ça, les femmes brillent par leur absence. De toute évidence, il s'agit d'un choix du scénariste qui inscrit son récit dans les traditions d'un genre littéraire spécifique : le récit d'aventures pour jeune adolescent (à ceci près que la structure du récit le destine à des personnes plus âgées). Ça m'a surpris à la première lecture, mais Hickman respecte également les autres codes de ce type de récit : aventures, mystères et sens du merveilleux. Les scènes d'action coupent le souffle qu'il s'agisse de la double page où les égyptiens charcutent les extraterrestres, le combat mémorable entre Night Machine et 2 agents du SHIELD (marchant au plafond grâce à des chaussures spéciales) dans un superbe couloir de la cité monumentale, ou l'affrontement entre 2 factions au sein de cette même cité. Ces scènes sont d'autant plus remarquables qu'elles ne sont pas très nombreuses, que chaque affrontement à du sens et que Weaver ne recourt par à la simplification lors de ces passages (pas de disparition inopinée des décors, pas d'effets lumineux qui gomment les détails). Le mystère et le merveilleux marchent main dans la main (comme dans un bon roman de Jules Verne) grâce à ces découvertes scientifiques et ses avancées technologiques d'anticipation qui dégage un parfum rétro-futuriste irrésistible.


(5) Dans ce récit, Hickman s'intéresse peu à la psychologie de ses personnages. Sa narration est entièrement accaparée par la découverte d'informations par les personnages, et par les philosophies qui motivent leurs actions. Il n'y a pas de long développement philosophique, mais il y a visiblement des points de vue différents sur la vie et son sens qui s'affrontent. D'un côté le lecteur peut être agacé par ces pièces de puzzle éparses qu'il faut du temps pour assembler, avec des personnages superficiels définis uniquement par leurs actions et leurs aventures. D'un autre cette structure complexe fascine par son architecture même et par les opinions qui se confrontent. Et l'intégration d'éléments de l'univers Marvel rappelle aussi le travail de mise en cohérence (sous forme d'une théorie du complot universel) effectué par Alex Ross dans Earth X.


Ce premier tome en appelle un autre, l'histoire n'est pas finie, il n'y a pas de résolution. Jonathan Hickman a bâti une structure narrative complexe fascinante dans laquelle des personnages s'affrontent portés par des courants de pensée pas toujours conciliables. Les illustrations sortent de l'ordinaire des comics pour une précision qui n'est pas photoréaliste, mais qui apporte de nombreuses saveurs à chaque scène et qui rend crédibles les éléments des différentes époques.

Presence
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le 2 avr. 2020

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