Nikopol = Baudelaire; Bilal = Nikopol; Bilal = Baudelaire ?

Bilal est de ces dessinateurs qui préfèrent travailler case par case que la BD en soi. Je m'explique, la mise en page n'est jamais novatrice, nous avons le droit à une succession de case tout ce qu'il y a de plus bateau possible. Mais pourtant, chacune des cases a un soin, une quantités de détail et un travail visuel énorme.

Sorti en 1980, ce livre se veut futuriste mais pas trop. Futuriste parce que l'histoire se déroule en 2023, 43 ans plus tard donc. Essayez d'imaginer sérieusement le monde en 2056 ... Vous y arrivez ? Non ? Normal. Ba, à l'époque, ça faisait pareille. Mais "pas trop" car Nikopol, notre héros, a été envoyé dans l'espace en 1992 ... 12 ans seulement après. Bilal annonce donc que 12 ans après sa parution, le monde peut être en proie à une guerre gigantesque et que la technologie peut avoir suffisamment évolué pour créer des robots dotés de raisons et mettre des personnes en cryogénie... 12 ans, c'est quand même beaucoup plus proche ... La preuve, il a vu les choses trop grand. Mais bon, ça n'est pas le plus important.

Non, l'important, c'est que Bilal est le Zola du 9ème art. Il raconte une grande histoire à travers une vision intimiste. L'histoire, nous la vivons au travers des yeux de Nikopol, humaniste pacifiste, a tendance communiste. Déserteur en 1992, de retour par hasard en 2023, avec une jambe en moins, oublié de tous. Femme morte, fils inconnu. On retrouve donc un paumé face à un monde qu'il ne comprend pas et pour lequel il ne ressent que du mépris. Ce monde que nous découvrons avec lui. Ce monde, cette ville, Paris, qui semble être l’héroïne de l’œuvre. Comme Emile Zola, Enki Bilal aime déifier les objets, les territoires. Et là, nous avons une ville, toute puissante, sombre, sale, ténébreuses, dangereuse, sexiste, fasciste au possible. Bilal nous dépeint le futur avec l'encre noir de la haine et du mépris. Bilal est un humaniste, comme Nikopol, mais il n'a plus aucun idéaux tant sa vision du futur est empli de pessimisme.

Je parlais de Dieu, mais justement, si Nikopol nous aide à découvrir le monde, si Paris, en plus d'être un lieu, semble être une puissance réelle, si certains personnages humains vont et viennent au fur et à mesure de l'histoire. Les dirigeants, ceux qui sont tous puissant, ce sont les Dieux. Totalement irréaliste dans un univers futuriste rationnel, les Dieux (égyptiens) amènent à la fois une dose d'humour et un charisme fou. Horus, Dieu égocentrique au possible se rebelle contre les siens et va utiliser Nikopol pour mettre en place sa vengeance.
On retrouve ici deux thématiques de Bilal : l'homme supérieur accompagné du sur-homme, du divin. Nikopol, paumé parmi les parisiens se retrouve accompagné par Horus, paumé parmi les Dieux. Cette thématique sera encore plus exploité dans le dernier tome de la tétralogie du Monstre.
La seconde thématique est cette façon de vivre la supériorité, cette dexation d'un être d'exception (Nikopol est présenté comme plus intelligent que la moyenne très rapidement) fait qu'il est tellement différent des autres, qu'il ne peut plus vivre avec les autres. Cela le poussant jusque dans la folie. Nikopol, image d'un Baudelaire du XXIème siècle, génie perdu et ange déchu, qui a su sauver Paris mais non se sauver lui-même. On peut aller jusqu'à se demander si la trilogie était prévue comme une trilogie dès le début tant se tome se suffit à lui même.

Enki Bilal, avec son style graphique hors-norme, son talent incroyable aussi bien dans sa plume que dans son pinceau, nous a amené dans un univers à la fois humain, futuriste, divin, intimiste, politique, philosophique et poétique. La Foire aux Immortels est une des œuvres maitresse de la BD française.
mavhoc
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le 11 févr. 2013

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mavhoc

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