Lorsque cet album est sorti en 1975, j'étais à Londres où je faisais mes stages linguistiques scolaires, et c'est là que je l'ai découvert en langue anglaise (dans une bonne traduction que je découvrirai peu après) sous le titre The Great Crossing. Je ne comprenais pas tout car je n'avais pas encore une bonne maîtrise de la langue anglaise, mais la famille qui me recevait m'aidait un peu ; c'était de braves Anglais moyens qui étaient des fans d'Astérix, on en rigolait souvent parce que je leur disais qu'il n'y avait pas plus français comme BD et que ça exploitait la fibre gauloise et en filigrane nous les Français. Ils me répondaient que tous les peuples étaient parfaitement caricaturés, là était le génie de la bande, que c'était formidable d'avoir en France un scénariste comme Goscinny, et je n'étonnerai personne en disant que leur album préféré était Astérix chez les Bretons, où le peuple anglais était vu à travers une vision très continentale mais de façon très juste.
La Grande traversée est un épisode particulièrement réussi pour son exploration de 2 mondes bien différents. Tout d'abord l'album s'ouvre par une page énigmatique aux cases blanches contenant un langage étrange, c'était assez risqué de faire commencer un récit comme ça, mais à ce stade, les auteurs avaient atteint une telle aisance dans la narration qu'ils pouvaient se permettre cette fantaisie. La page suivante s'ouvre sur le village gaulois avec de suite une bagarre à cause des poissons d'Ordralfabétix ; heureusement, Agecanonix va prêter son vieux bateau aux héros qui s'en vont pêcher, mais tout ne va pas se passer normalement, sinon il n'y aurait pas d'histoire.
D'abord c'est la découverte du Nouveau Monde avec les Indiens que les héros prennent pour des Crétois, puis des Thraces ; il s'en suit quelques bonnes scènes où Obélix est admiré pour sa force. Puis c'est l'arrivée chez les Vikings qui ici, à la différence des Normands de l'épisode 9, sont issus des terres danoises, bien identifiés par les indices parodiques semés par Goscinny (les noms en "sen", la découverte du Nouveau Monde par eux et non par cet usurpateur de Colomb, les allusions à Hamlet etc). J'ai l'impression que les auteurs se sont vaguement inspiré du film les Vikings de Richard Fleischer.
Je ne regrette qu'une chose : que ces 2 mondes ne soient pas plus exploités (par manque de place), car il y avait du potentiel, chacun d'eux aurait pu faire l'objet d'un album, on a l'impression que ça part bien et puis subitement l'élan est coupé. C'est peut-être ce qui explique le relatif succès de cet album à l'époque avec ces 2 univers à demi abordés, et d'ailleurs sur la fiche de l'album ici, j'ai vu des notes très partagées, avec de très mauvaises notes (faut arrêter ce bashing insensé) mais contrebalancées par de très bonnes notes, et la mienne est significative, car j'aime bien cet album, je trouve qu'il est un peu comme Astérix et le chaudron, injustement mésestimé.
L'album donne l'occasion à Uderzo de dessiner des Indiens comme il le fit dans la BD Oumpah Pah, et aussi de charmantes jeunes Indiennes. Sa drôlerie suggestive fait encore merveille avec Astérix en Statue de la Liberté page 35. Et comment oublier le catalogue d'expressions gauloises lorsque les 2 héros se présentent aux Indiens page 26, réédité page 38 pour les Vikings ? (Nous sommes courageux, nous aimons rigoler, nous aimons bien manger et bien boire, nous sommes râleurs, nous sommes indisciplinés et bagarreurs... bref nous sommes des Gaulois). Cette scène remarquable me servait pour expliquer à la famille anglaise chez qui j'étais reçu, que ça typait nos caractères de Français, que nous avions exactement conservé le fond gaulois et que ce que Gosninny pointe dans cette présentation explique ce que nous sommes (des rigolards, râleurs, bons vivants et indisciplinés). Au final, voici un album considéré souvent comme mineur, mais que moi je classe parmi les meilleurs.

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le 9 janv. 2021

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Ugly

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