Se confronter à un souvenir
Quelque part au milieu des années 90. J'ai reçu le dernier numéro de Picsou magazine à la maison (Parce qu'il fut un temps où je devais en permanence avoir cette locution dans la bouche - Picsou magazine, Picsou magaziine, Picsouu magâziiiiiine -, mon père, de guerre lasse, avait fini par m'abonner). Ce jour là, je m'enferme dans ma chambre pour le lire avec un maximum de confort & de tranquillité, comme a mon habitude. Après quelques courtes histoires de facture courante, je tombe sur le premier épisode de ce que je comprends être une nouvelle série. La "Jeunesse de Picsou", par Keno Don Rosa.
J'entame ma lecture.
Et je suis subjugué.
Devant moi, c'est un monde extraordinaire qui s'ouvre. Je comprends confusément que cette Bd est différente des autres. La richesse de son scénario, l'intelligence du dessin qui fourmille de détails, la promesse d'une histoire au long cours me semblent d'une autre catégorie que les bandes dessinées traditionnelles auxquelles je suis habitué. Ce jour là était le premier jour d'une relation nouvelle avec Picsou magazine. Désormais, je n'aurais de cesse que d'attendre les épisodes suivants. Et je garderai de cette bande dessinée le souvenir d'une émotion qui ne manquera jamais de ressurgir en moi, de loin en loin. Le souvenir d'un arc-en-ciel au-dessus d'un château comme augure d'une vie trépidante. Le souvenir de la rage d'un Picsou endeuillé. D'autres images, encore.
Fin 2012. Je mets la main sur l'intégrale de la Jeunesse de Picsou. Evidemment j'ai beaucoup lu depuis. Mon sens critique a certainement évolué aussi. En un mot, j'ai grandi. Et si je découvrais que l'émotion qui m'avait naguère emporté était l'expression d'un ressort facile ? Et si l'adulte que j'étais devenu ne considérait plus que les défauts d'une oeuvre destinée aux enfants?
J'entame ma lecture. Et ce monde refermé des années plus tôt s'ouvre de nouveau. Je comprends que la force éternelle du mythe sous-tend ma lecture. Je comprends que cette oeuvre est une histoire universelle.
Et aux mêmes endroits, l'émotion ressurgit.
Il y a l'Homme qui brave les vents contraires pour se créer un destin. Il y a la piété aux ancêtres, l'espérance, le drame, la joie.
Non, la Jeunesse de Picsou n'a rien à envier à nombre de fictions que j'ai lu depuis.
Je ne m'étais pas trompé. L'enfant que j'étais avait bien vu.