"Étienne, Étienne, Étienne... oh, tiens-le bien". Il m'aura fallu faire la critique de sept albums complets de La Croix de Cazenac avant de craquer et citer Guesch Patti, ce qui me titillait depuis le tout premier tome, mais puisque les auteurs Pierre Boisserie et Éric Stalner n'en ont clairement plus grand-chose à f..., je ne vois pas pourquoi je me retiendrais. Et puis ce n'est pas inapproprié, car ce tome 8, La Mort du Tigre, s'ouvre sur le cadet de la fratrie Cazenac s'enfuyant à travers les ruelles du Caire, les troupes britanniques sur les talons et son vieux mentor Imélovitch sur les épaules. "Il aime à la folie, au ralenti, je soulève les interdits, Étienne Étienne Étienne...!"


Son frère Henri, sa belle-sœur/amante Louise et son ami Fabien sous les verrous, le jeune Cazenac et le vieux chaman yakoute n'ont guère d'autre choix que de trouver refuge chez la famille d'Aziz, un contact local des Français, assassiné dans l'album précédent. Par chance, le fils de ce dernier, Azouz, se trouve être non seulement le sosie d'Aladin, mais aussi le leader des Goonies du cru, appelés en toute bonne foi "les forces de libération de l'Égypte". Pierre Boisserie continue donc de révéler au grand jour les secrets les mieux gardés de la Grande Guerre, car j'ignorais que Nasser avait ainsi commencé sa carrière. On en apprend tous les jours.


Blague à part, comme si ce démarrage douteux ne m'avait pas déjà assez mis la puce à l'oreille, s'ensuit bientôt une séquence digne de celle du couteau à beurre du tome 3, lorsqu'Albion fait irruption dans la cachette des Wolverines cairotes, obligeant ces derniers et leurs visiteurs à s'enfuir via les égouts... remplis de crocodiles, évidemment, avec plus d'appétit qu'un barracuda. Manque de chance pour ces pauvres sauriens, ils doivent se rabattre sur la nourriture anglaise, notoirement abjecte, alors même qu'un délicieux entremets franco-russe se tenait droit sous leur nez ! Il faut dire qu'Étienne était trop occupé à trancher quelques gorges de tommies, renouant lui aussi avec ses tendances de Le Sang de mon Père...


Après les promesses de Les Espions du Caire, histoire d'espionnage classique dans la veine des débuts de la série, La Mort du Tigre replonge donc tête la première dans les travers des tomes 3 à 6. Pointer du doigt les incohérences et les énormités que ce revirement occasionne serait fastidieux, je vous renvoie donc à mes précédentes critiques, mais je me contenterai de mentionner l'impéritie total des motivations des antagonistes, officiers british fourbes et félons : saboter les accords de Sykes-Picot, jugés désavantageux pour la Couronne, en faisant croire que les Cazenac sont derrière la mort du colonel Townshend. Really ? Alors même que ni les Allemands ni les Ottomans ne sont encore vaincus, vous voulez vous mettre à dos votre allié n°1 avec un plan aussi foireux ?


L'aspect historico-géopolitique ainsi bâtardisé, La Mort du Tigre n'a guère plus à offrir que du Highlander de seconde zone, comme La Marque du Loup et Ni Dieux, Ni Bêtes avant lui. Étienne n'est pas Christophe Lambert, ni Imélovitch Sean Connery (si seulement ! "I'm a Schiberian , McLeod!"), mais pour de fumeuses histoires de chamanisme, il ne peut en rester qu'un. Quel suspens, comme si le jeune éphèbe musclé pouvait perdre face au vieillard à lunettes. Le torture porn à l'encontre du pauvre Henri continue, les amours entre Louise et Étienne se voient accorder une fin aussi incohérente et dénué de bon sens et d'humanité que le reste de leur relation, et c'est à peu près tout.


Le meilleur aspect de l'album, à mes yeux, c'est son quatrième de couverture, et ce pour deux raisons : 1) la BD est finie, et 2) la citation coutumière provient cette fois de mon poète préféré, Rainer Maria Rilke, et elle est sublime : "La destinée ne vient pas du dehors de l'homme, elle sort de l'homme-même." ("Das Schicksal wird nicht außerhalb des Menschen bestimmt, sondern entsteht aus ihm selbst.")


Pour le reste, La Mort du Tigre n'a vraiment rien à offrir, si ce n'est encore plus de regrets après les bonnes idées du tome précédent. Et c'est ainsi que se termine l'aventure La Croix de Cazenac pour moi ; je sais qu'il reste un quatrième cycle de deux albums, mais même Stalner ne s'est pas déplacé pour le dessiner, alors une fois encore, moi aussi je vais faire l'impasse.


Que retenir de La Croix de Cazenac, alors ? L'amalgame entre contexte historique réaliste et approche ésotérique aurait pu fonctionner, mais faute de s'engager avec constance dans l'un ou dans l'autre, réduisant le premier au rang d'arrière-plan anecdotique pendant que la seconde n'avait plus que des outrances à jeter à la figure du lecteur, Boisserie a fini par me perdre, tandis que ses personnage devenaient de plus en plus antipathiques. La messe était dite à partir du moment où son complice Stalner, à ses débuts un dessinateur d'une finesse rare, se mit lui aussi en mode pilotage-automatique.


La Croix de Cazenac ne pava donc pas vraiment la voie aux excellentes BD consacrées à la Première Guerre Mondiale parues depuis, mais elle eut ses moments de gloire et fit même plus que frôler la case "plaisir coupable" par moments, ce qui au final ne me fait pas regretter de l'avoir lue. Le coche a clairement été manqué à partir du tome 3, mais peut-être la prémisse des deux premiers albums donnera-t-elle des idées à de futurs auteurs désireux d'explorer un conflit qui n'a pas fini de faire travailler notre inconscient national ? Mais par pitié, pas de couteau à beurre ni de crocodiles !!!

Szalinowski
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le 17 mars 2021

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