Eh bien oui, ça y est, c’est terminé.
Une des grandes sagas de bande-dessinée du moment a pris fin avec son sixième et dernier tome sorti récemment.
Cette brillante série parue chez Glénat s’appelle « Il était une fois en France », Fabien Nury est au scénario et Sylvain Vallée assure les dessins, et Delf réussit parfaitement le coup de pinceau de couleur par-dessus le tout.
Pendant six albums, on a suivi l’ascension pas comme les autres d’un juif roumain doté d’un sens inné de la ferraille, qui rejoint la France en 1925.
On a découvert la vie de Joseph Joanovici, figure insaisissable voguant dans les eaux troubles de la Seconde Guerre Mondiale et doué d’un talent sans pareil pour faire du fric et pour survivre alors qu’on est persuadés de le voir y rester une bonne quinzaine de fois.
Joanovici a véritablement existé, et on imagine bien comment son parcours a inspiré le scénariste de la saga. Car si on est dans la fiction, qui prend les libertés qui lui reviennent avec un homme dont l’histoire est difficile à reconstituer tant elle est mouvante, on suit les grandes lignes de l’itinéraire de celui qui débarque comme manœuvre dans la ferraille, ne sachant ni lire ni compter, si ce n’est avec un système de dessins de son invention, maîtrisant encore mal le français, et qui va devenir Monsieur Joseph, l’homme le plus riche de France sous l’occupation.
Dès les années 30, Joseph qui prospère dans le métal, comprend qu’il peut faire fortune en prenant ses aises avec la morale. Il viole le traité de Versailles en vendant du métal aux Allemands dans le même temps qu’il fournit aux Français le matériel nécessaire à la construction de la ligne Maginot.
C’est le début du jeu dangereux qu’il jouera jusqu’au bout, durant toute la guerre, frayant avec la Gestapo française de la rue Lauriston, arrosant tout le monde, se rangeant dans le sens du vent, faisant exécuter ses adversaires avec son pognon ou par des intrigues menées avec brio. Il surmonte les pires humiliations pour sauver sa vie. Il se reconstruit toujours, il est sans cesse en mouvement et dans l’ambition. Il fera oublier son ascendance juive pour échapper aux rafles en faisant établir un certificat d’aryanisme par le biais de ses relations. Dans le même temps, il utilisera son argent et son réseau de faussaires pour sauver d’autres juifs et les faire travailler dans son usine.
Et bien sûr, quand les choses se préciseront durant la guerre, il va tout faire pour faire oublier ses manœuvres douteuses avec l’ennemi en fournissant la résistance et en y établissant des relations privilégiées.
Ainsi, on ne sait plus si notre héros est un salaud, un opportuniste, un traître, un sauveur, un collabo, un assassin…
Mais « Il était une fois en France », c’est aussi l’histoire du juge Legentil, le petit juge de Melun qui mène une enquête harassante sur Joanovici et qui veut lui faire payer légalement les accrocs dans son parcours. Il est déterminé comme jamais, et acceptera de perdre sa famille après les avoir mis en danger pour parvenir à ses fins. Son obstination mettra Joanovici face à ses paradoxes et devant les tribunaux, comme le raconte le sixième tome, intitulé La terre promise et qui raconte la déchéance du personnage central après la guerre, que sa malice et le soutien de ses obligés ne parviennent plus à préserver.
C’est un récit haletant, une fenêtre originale sur une période souvent traitée par la fiction.
On est aux frontières du film de gangsters, du polar noir, de la chronique historique réaliste et de la tragédie grecque.
Le scénariste réussit le tour de force de regarder son personnage insondable sans le moindre préjugé, de le donner à voir dans toute sa complexité et dans ses faiblesses, notamment avec sa famille dont il devra s’éloigner toujours plus. Il le montre entier tout en lui réservant une sorte de mystère personnel, cette imprévisibilité chevillée à chaque être humain.
Le dessinateur, Sylvain Vallée, s’est fait connaître en collaborant avec Jean-Charles Kraehn sur la série Gil Saint-André. Ici, il garde son trait reconnaissable et efficace en y ajoutant une description des visages particulière, une expressivité et des défauts qui les rendent incroyablement vivants. Et le travail de reconstitution est très riche, sans jamais être ostentatoire et grandiloquent.
Le dernier tome achève avec brio « Il était une fois en France » dans les coups de théâtre et la douleur, avec la fin pathétique de celui qui était si important et les désillusions des personnages confrontés à la vieillesse.
Une série incontournable, six albums à se procurer au plus vite.
Oneiro
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le 30 janv. 2013

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