Black et Mortimer : la vallée des immortels : une plongée passionnante au coeur de l'histoire de la

Les épisodes "modernes" de Black et Mortimer semblent une exception dans l'histoire des prolongements contemporains de grandes BD classiques . Souvent le remake n'est que la prolongation commerciale de l'ancien. Ici ce n'est pas le cas , particulièrement avec les scénarios toujours excellents de Yves Sente ( le Janitor etc..) .

Il est vrai que la mode est aujourd'hui à des scénarios minimalistes au profit de dessins qui s'étalent souvent de façon complaisantes sur une pleine page . Or c'est le scénario qui précède le dessin et pas l'inverse , un peu comme , contrairement à ce qu'affirme Sartre , l'essence précède l'existence .

Cela est d'ailleurs vrai aussi en matière cinématographique. On a plus aujourd'hui au mieux des "répliques cultes" que de grands dialogues à la Jeanson ou la Prévert dans les films contemporains.On en est ainsi conduit à amoindrir le jeu réel d'acteurs et actrices , au profit de "gros budgets" et d'effets spéciaux , qui n'ont pour fonction que de combler l'indigence du récit .

Merci donc à Yves Sente de nous offrir encore en 2018 des scénarios élaborés
.
Après 1945 , la situation est complexe en Chine . La guerre civile va faire rage pendant quatre ans entre les communistes de Mao et les Nationalistes de Tchang Kaï- Chek avec en plus le rôle des seigneurs de la guerre qui incarnent une Chine archaïque . Il y a aussi les Anglais qui vont être les seuls à reconnaître la nouvelle République communiste pour conserver Hong Kong jusqu'en 1997 .
C'est dans ce contexte que Yves Sente , fait intervenir Black , Mortimer mais aussi des personnages récurrents tels le fidèle ami Nasir et le malfaisant colonel "Olrik".

Le thème de la volonté de puissance revenait souvent chez E. P. Jacobs , Yves Sente l'exploite à nouveau à travers l'idée d'une arme défensive qui pourrait protéger Hong Kong , la colonie anglaise ne disposant que d'un espace aérien à surface réduite , mais aussi avec l'évocation des mécanismes de l'arbalète qui on le sait fut inventée par les Chinois . L'auteur rentre avec précision dans mécanisme de cet arme , évoque sa lenteur et sa précision..

Un autre thème me semble passionnant en contrepoint . D'un côté le "hard power" des armements "modernes" et anciens , de l'autre le soft power chinois .
En effet , il s'agit pour les nationalistes de sauver les collections et les trésors inestimables de la Chine ancienne en les acheminant par bateaux et en prenant de grands risques sur l'île de Formose . ( Taïwan )

On sait que Mao a voulu faire "table rase du passé" , de ce qui faisait la grande richesse de la culture chinoise ,médecine , littérature , archéologie ... qu'il a persécuté pendant les révolution culturelle entre 1966 et 1969 ( et avant pendant la campagne des cent fleurs en 1957 ) les intellectuels et les lettrés , notamment le père du grand pianiste Fou Tsong , Fu Lei , grand traducteur de Balzac , Voltaire et Romain Rolland , qui s'est pendu avec son épouse pendant cette
monstrueuse révolution culturelle .

Je trouve cette opposition entre les thématiques du hard et du soft power passionnante est très inspirée . On la retrouve d'ailleurs en France , quand , face à l'occupation allemande , Rose Valland , héroïque conservatrice du Musée du Jeu de Paume , va sauver de nombreuses collections de tableaux français ( John Frankenheimer en a fait en 1964 l'excellent film le train avec Burt Lancaster , Michel Simon et.. Suzanne Flon dans le rôle de Rose Valland ) .

Quand au dessin , il a le charme et la puissance évocatrice qui sont la marque des Black et Mortimer , la "ligne claire" dans ce qu'elle a de meilleur.

J'attends donc de pied ferme , le tome second d'une histoire qui a du souffle .