Des serpents dans l'intersection

Bien qu'il soit surtout connu pour ses romans et nouvelles (FAUST, Le livre des ombres, Espion de l'étrange, Aucune étoile aussi lointaine, etc.), Serge Lehman n'est pas pour autant un nouveau venu dans le monde de la bande dessinée. Après avoir créé une émission de radio sur le sujet, il a travaillé comme vendeur chez Album à Paris et garde depuis longtemps l'idée de scénariser une BD. En même temps que La saison de la Coulœuvre, paraît à l'Atalante Thomas Lestrange, un album fantastique dessiné par Sarah Debove. Il prépare également une mini-série de BD, en collaboration avec Fabrice Colin et dessinée par Gess, à paraître à la rentrée 2008. Par ailleurs, Serge Lehman était très récemment l'invité du forum ActuSF où il a répondu à de nombreuses questions de ses lecteurs. Diplômé des Arts Décoratifs en 1990, Jean-Marie Michaud publie ses premières bandes dessinées chez Dargaud en 1992 (Le pays miroir, De Profundis). Plus récemment, il publie chez Glénat une série de Fantasy, La Dernière Fée du pays d'Arvor. Parallèlement à la bande dessinée, il illustre également des romans et des documentaires pour enfants. La saison de la Coulœuvre est aussi l'un des trois premiers titres de Flambant 9 la nouvelle collection de bande dessinée lancée cet automne par l'Atalante.

Tout cela n'est pas très clair, mais...

Dans un futur étrange et éloigné, les hommes traversent la galaxie grâce à des "toboggans", couloirs spatiaux qui relient entre eux les systèmes stellaires. Mais depuis la fragmentation du monde M, ses créateurs, les Mohaïs sont retournés à l'état primitif et le réseau est éclaté. Aujourd'hui, ce sont les fonctionneurs qui se chargent de la régulation du réseau que l'on redécouvre peu à peu. Derek Finn est l'un d'entre eux, et pour son premier jour à l'intersection 55, au sortir du centre de formation, rien ne va plus : le tuteur censé l'accueillir a disparu, le passager qu'il doit escorter, pris d'une crise de folie, en assassine un autre, des tracts dissidents apparaissent partout dans l'intersection, tandis qu'une obscure divinité oubliée semble sur le point de se réveiller. Une première journée qui s'annonce chargée.

... c'est aussi ce qui fait le charme de cet univers

Loin de l'opportunisme que l'on pouvait craindre de la part de l'Atalante, La saison de la Coulœuvre est tout sauf un album prétexte, c'est une vraie réussite. Assurément, bien que l'un d'eux soit nouveau sur le marché, les deux auteurs connaissent bien leur boulot et nous livrent avec cette première collaboration un joyau parfaitement ciselé en matière de rythme et d'intrigue, une maîtrise dont feraient bien de s'inspirer quelques auteurs plus expérimentés. Même s'il s'agit du premier tome d'une trilogie, l'album forme un tout cohérent, divisé en chapitres, qui se lisent d'une traite et immergent le lecteur dans un univers fantastique pour ne le relâcher qu'une fois la dernière page tournée.

Bien qu'il se défende de le faire de façon réfléchie, Serge Lehman crée un univers cohérent et d'une richesse incroyable, avec ses personnages célèbres, ses évènements historiques, et l'on trouve dans La saison de la Coulœuvre de nombreuses références au Livre des ombres et à ses autres récits. L'histoire est toutefois suffisamment indépendante pour qu'on puisse la lire sans avoir aucune connaissance de l'univers de l'auteur. Serge Lehman n'a pas peur d'utiliser des mots compliqués dans une bande dessinée, et il le prouve avec des dialogues savoureux, souvent avec beaucoup d'humour et de subtilité. Tout cela contribue à créer des personnages et des situations à aussi crédibles que tout à fait étranges et peu familières. De l'incipit glacial et formel au final qui tient plus du délire jubilatoire, Lehman nous prend par la main et nous entraîne lentement mais inexorablement vers la folie.

Si le texte suffit à faire de cette BD une réussite, on ne peut pas ne pas parler du travail graphique de Jean-Pierre Michaud, qui fait partie intégrante de l'intrigue. En plus de créer un univers original et plein de personnalité, de peindre des décors gigantesques et somptueux, le dessinateur accompagne le développement de l'intrigue avec un jeu sur la couleur hautement symbolique. En quelques pages de faux noir et blanc, il pose une ambiance glaciale qu'il se plaît à déstabiliser en introduisant par la suite quelques touches de couleurs. Chaque page est aussi truffée de petits détails à l'arrière-plan, mimiques amusantes ou références à l'univers, parfois même à d'autres livres de Serge Lehman.

La saison de la Coulœuvre est un album que l'on se plaît à lire et à relire pour traquer les détails cachés et en saisir toutes les subtilités. Un sans-faute, donc, pour le scénariste comme pour le dessinateur, et on ne voit pas bien ce qu'on pourrait leur reprocher, en dehors de leur rythme de travail : le second tome de la trilogie ne verra en effet le jour que début 2009. Mais pour une BD de cette qualité, on veut bien être patient.