La Saison de la Couloeuvre, tome 1 par Hard_Cover

« Au nom du personnel, je vous souhaite la bienvenue dans l'Intersection 55 »

L'Intersection 55 est un des quatre-vingt onze points de l'espace où sont connectés les toboggans qui relient entre eux des dizaines de systèmes solaires. Ce hub spatial a son bon fonctionnement assuré par les stoïques fonctionneurs.
Les voyageurs qui empruntent les toboggans, êtres de centaines d'espèces différentes, ont obligation de rester au moins cent mille cent secondes, pour équilibrer les flux acausals. Les êtres de passage sont souvent des plénipotentiaires dont il faut assurer le meilleur confort possible. C'est une des tâches des fonctionneurs que d'accueillir les clients de l'Intersection et de s'assurer qu'ils disposent de tout le confort nécessaire dans leur hôtel.

Derec Finn est un tout jeune fonctionneur. Il entame sa première journée de travail à l'Intersection 55. Mais son tuteur, Gordo Jaggar, est absent. Il va devoir accueillir seul un Formicien, membre d'une espèce nouvellement découverte. Alors que le nexus – la zone de flux – est agitée par l'apparition d'un ballon qui a libéré des tracts au texte énigmatique, le client de Finn et l'armurier Xtalassar en viennent aux mains...
Quelle est donc cette force qui secoue ainsi l'Intersection 55, qui semble disperser la grise organisation de cette dernière ?

« Les armes acausales des Hiffiss vous avaient séparés, projetés sous la surface des choses et forcés à vous oublier vous-mêmes [...] jusqu'à la découverte du toboggan que vous aviez placé sur Mars »

La Saison de la Coulœuvre est une bande dessinée de pure science-fiction. L'action se déroule dans un lointain futur. L'humanité a essaimé dans toute la Voie grâce à la technologie des toboggans qui permet de voyager d'une planète à une autre presque instantanément.
Mais les Humains ont affronté les Hiffiss, des êtres qui les ont vaincus et renvoyé l'humanité dans l'obscurantisme. Mais les hommes ont redécouvert les toboggans et le réseau est en cours de reconstitution. Et dans l'amalgame des passages entre les mondes, il y a des intersections, des carrefours, comme la n°55, théâtre de La Saison de la Coulœuvre.

Hiffiss ? Toboggans ? Voie ? Ce sont là des termes qui me disent quelque chose. Pas vous ? Bien sûr ! Nous sommes dans le même univers que celui dans lequel se déroulait l'épopée d'Arkadih, celle contée dans Aucune étoile aussi lointaine. Serge Lehman a donc décidé d'explorer d'une façon différente l'univers foisonnant, riche en possibilités, de ce space opera qui, il faut l'avouer, ne m'avait pas fait forte impression.
Il en est d'une toute autre façon avec La Saison de la Coulœuvre qui m'a époustouflée. Il y a bien sûr l'aspect visuel (voir plus loin) pour expliquer le plaisir que la lecture de cette bande dessinée m'a procuré, mais aussi le scénario.
En effet, de la première à la dernière page, Lehman nous transporte dans un univers parfaitement cohérent, inventif et maîtrisé. Certes, dans ce premier tome de La Saison de la Coulœuvre (et les deux suivants ?), on ne nous décrit qu'un point minuscule de la Voie : l'Intersection 55, sise sur une planète creusée de canyons, un monde qui ne serait rien si elle n'était pas le point d'arrivée et de départ de plusieurs toboggans. Pourtant – évidemment, pourrait-on dire – elle va être le siège d'événements majeurs. À quel niveau ? Local, galactique, universel ? Ce premier tome ne le révèle pas mais est le récit de l'apparition d'une force qui change la nature des gens – ou les ramène à leur vraie nature ? – et qui va être le déclencheur de ces bouleversements. Cette force, c'est la Coulœuvre, et elle va colorer une Intersection 55 grisâtre et morose...

« Ce n'est pas une affaire d'observation, plutôt une sensibilité à l'ambiance »

Si une bonne bande dessinée doit avoir un bon scénario – et/ou fascinant – il lui faut aussi un bon graphisme pour atteindre le statut de chef-d'œuvre. Je ne sais pas si on peut dire que La Saison de la Coulœuvre en est un, mais elle dispose du premier critère – surtout pour le côté fascinant – et également du second. Jean-Marie Michaud signe en effet des dessins et une mise en couleur de toute beauté, dont la qualité éblouit le lecteur. Il faut dire que l'œil de ce dernier reste fixé sur les planches de l'album accroché par la mise en scène parfaite – allez, n'ayons pas peur des mots ! – qui caractérise La Saison de la Coulœuvre.

Globalement, les planches sont découpées de façon classique : divisées en trois sur la hauteur et souvent trois cases sur une ligne. On compte toutefois de grands dessins, couvrant une page entière, notamment au début des chapitres de la bande dessinée, qui sont magnifiques.
De plus, Michaud joue habilement avec les plans fixes. Certaines planches sont constituées d'une même vue sur un lieu, dont les occupants évoluent au fil des cases. C'est un peu contraire à la construction usitée en BD, qui veut que le dessinateur dynamise sa mise en images en changeant de type de plan à chaque case. Michaud utilise toutefois le plan fixe dès la première planche et plusieurs autres fois avec succès. C'est parfaitement adapté à l'ambiance de l'Intersection 55 qui est un peu routinière, figée, mais permet surtout au dessinateur d'insister sur les actions des personnages (je pense notamment au moment où Xtalassar serre la main de Shéri).

Je disais précédemment que La Saison de la coulœuvre est une sorte de huis clos planétaire. L'action se situe dans l'Intersection 55, sur une petite planète perdue au milieu de l'univers. Malgré son insignifiance galactique, le décor de cette bande dessinée est un élément central, que Michaud nous fait visiter à bord des nacelles reliant les hôtels et le nexus, en nous faisant emprunter les sentiers de long des gorges. Quand on referme l'album, on se rend compte qu'on a eu un aperçu global de tous les endroits importants de l'Intersection 55 – et bien plus encore – sans en avoir pour autant eu l'impression au cours de la lecture. C'est naturellement que planches après planches, Michaud et Lehman – et nous avec eux – un décor d'une splendeur vertigineuse.

Enfin, si Michaud dessine, il met aussi en couleur. Il est rare qu'un scénario de bande dessinée soit aussi lié à la couleur. Le dessin, oui. La couleur, et à ce point, c'est très très rare. On a, avec La Saison de la Coulœuvre, un exemple flagrant d'histoire écrite pour la bande dessinée, où le visuel a autant d'importance que le reste, qui ne pourrait rien donner racontée dans un roman.
La très grande majorité des planches sont caractérisées par un gris-vert monotone et un peu triste, volontairement choisi pour signifier la grisâtre atmosphère de l'Intersection 55. La couleur ne fait son apparition que quand l'action se met à battre son plein, quand la Coulœuvre se manifeste. Les planches chatoient alors, éblouissantes et pleines de vie.
On ne comprend pas encore tout avec ce premier tome, mais on ne peut que féliciter Lehman et Michaud d'avoir collaboré si étroitement pour nous offrir un moment magnifique de lecture, où notre cervelle autant que nos yeux – et notre cœur – sont sollicités.
Hard_Cover
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le 18 déc. 2010

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Hard_Cover

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