Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 4, initialement publiés en 2016, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Jerome Opeña, et mis en couleurs par Matt Hollingsworth. Il contient également les couvertures variantes réalisées par Tony Moore, Andrew Robinson, Eric Canete, Farel Dalrymple, Greg Tocchini.


Dans son journal intime, Adam Osidis écrit sur la fragilité de la mémoire, la manière dont on oublie le visage d'amis et même de membres de sa famille. Quand il dort, il voit son père Zebadiah en train de méditer dans le jardin, et son fils Pete (le frère d'Adam) est mort à ses pieds. Son père s'adresse au rêveur en utilisant la langue des Mosak, que pourtant Adam n'a jamais apprise. Il comprend que cela signifie qu'il doit partir. Son père Zebadiah était un fier homme qui a refusé de s'agenouiller devant Garils Sulm, le dieu des murmures, aussi appelé Roi Fange. Son père pensait que le pourrissement des principes commence quand on pose le premier pied sur la route des compromis. C'est ce qui a conduit son père à être exclu de la communauté, à quitter la ville pour aller s'installer à l'écart dans les Monts Volkt. Ce choix leur a permis de se tenir à l'écart de la guerre, mais ça ne les en a pas protégés.


Au temps présent, Adam Osidis apprend à sa fille Katie à chasser une énorme bête, de plus de quatre mètres de hauteur, avec un arc et une sorte de serpent vivant rigidifié qui sert de flèche. Il tousse et crache un peu de sang au moment où elle va tirer, ce qui la distrait et lui fait rater sa cible. Un son de corne retentit, pour sonner l'alarme à la ferme des Osidis. Ils y retournent et découvrent que des décharges d'énergie s'abattent alentour. Il y en a une qui frappe la grange et le bâtiment prend feu. Zebadiah s'élance à l'intérieur pour sauver les animaux et son fils Adam le suit pour l'inciter à sortir. Une autre décharge frappe leur maison d'habitation. Zebadiah Osidis fait appel à son pouvoir de chevalier Mosak : un œil géant apparaît au-dessus de lui. Piper apparaît et délivre un message de Garils Sulm. Il commence à jouer de sa flûte traversière et des êtres de boue commencent à se former et à attaquer Zebadiah Osidis qui refuse d'entendre le message. Le combat s'engage. Adam Osidis pénètre dans la maison en flamme pour récupérer son marteau. Quand il ressort de la maison, son père a été enseveli vivant sous terre, et seul un de ses avant-bras dépasse encore. Adam se précipite pour lui tenir la main pendant son horrible agonie. Piper indique à Adam que le dieu des murmures l'attend à la ville de Fengow pour lui énoncer son offre et qu'il n'a pas intérêt à rater le rendez-vous s'il ne veut pas que sa famille en pâtisse.


En l'espace de 4 ans, Rick Remender lance plusieurs séries avec des dessinateurs prestigieux : Black Science (2013) avec Matteo Scalera, Deadly Class (2014) avec Wes Craig, Low (2014) avec Greg Tocchini, Tokyo Ghost (2015) avec Sean Murphy, et celle-ci. Il a déjà collaboré avec Jerome Opeña pour de mémorables épisodes de la série Uncanny X-Force. Le niveau d'attente du lecteur est donc assez élevé en entamant cette série. D'un autre côté, il a également conscience de plonger dans un récit qui peut demander du temps pour en saisir les tenants et pour saisir les enjeux pour chaque personnage. Il découvre que l'histoire s'ouvre avec 2 pages de texte : un facsimilé d'écriture manuscrite sur un facsimilé de parchemin, les 2 ayant une apparence artificielle. L'introduction sous forme écrite est présente dans les épisodes 1, 3 et 4 et se lit facilement, l'identité de l'auteur étant de surcroît clairement énoncée. Vient ensuite le temps de s'immerger dans la bande dessinée proprement dite. Le lecteur est tout de suite séduit par la beauté de la mise en couleurs. Éventuellement, le lecteur peut regretter que Dean White ne soit pas de la partie, le coloriste qui nourrissait si bien les dessins d'Opeña précédemment. Matt Hollingsworth n'a pas opté pour un effet peint, restant dans une mise en couleurs traditionnelles à l'infographie, avec jeu discret sur les nuances d'une même couleur pour rehausser les reliefs et rendre compte de l'ambiance lumineuse. Le choix des couleurs apporte cette impression de se trouver sur une autre planète avec un soleil au spectre lumineux décalé par rapport à celui de la Terre. Le travail sur les nuances apporte des textures aux vêtements et à la peau des personnages, renforçant l'impression tactile.


La première séquence est magnifique sur le plan visuel : le gros phacochère extraterrestre, le père et la fille, et leurs tenues, leurs postures. La suivante impressionne avec les flammes, les crépitements d'énergie, la détermination des personnages, l'apparition du joueur de flûte à bec (si, si), les créatures de terre. Le lecteur observe quand même que Jerome Opeña n'éprouve pas beaucoup d'intérêt pour les décors, et qu'il laisse Matt Hollingsworth y déployer des camaïeux, même quand il ne s'agit pas d'un mur de flammes. Les décors reprennent le dessus avec l'approche de la ville de Fengow, puis avec l'antre de Garils Sulm. La narration visuelle est claire et limpide et les personnages en imposent par leurs caractéristiques étranges, leur majesté terrifiante, leurs gestes rapides. Le lecteur ressent pleinement l'immersion sur une planète étrangère, dans un monde moyenâgeux, habité par des êtres humains démunis face à des individus disposant de pouvoirs magiques. Il voit la capacité des 7 opposants au dieu des murmures, à se battre efficacement, à porter des coups incapacitants dès qu'ils peuvent. Il peut également observer l'histoire commune qui les unit dans leur coordination pendant leurs interventions. Il se rend compte qu'il est subjugué par la présence de Garils Sulm, certes juste un gros balèze de plus, mais aussi un individu qui ne plie pas, qui est conscient de sa force physique, mais aussi de sa capacité à influencer pernicieusement les autres.


Le lecteur se lance dans l'intrigue sans trop savoir à quoi s'attendre. Un homme dont le père est tué sous yeux par un vilain sorcier au service d'un méchant roi, et qui doit se rendre à sa convocation pour comparaître devant le méchant sorcier. Une trame assez classique de récit de fantasy, avec un partage net entre le bien et le mal. Un homme qui part affronter le méchant sorcier pour que sa femme et ses enfants puissent avoir un avenir, qu'ils ne soient pas massacrés par l'armée du méchant sorcier, et que peut-être il puisse les en délivrer. Plusieurs individus qui s'unissent pour se battre contre le méchant sorcier, une sorte de communauté unie contre un ennemi. Dans le même temps, plusieurs particularités tranchent avec le déroulement prévisible de ce genre d'histoire. Pour commencer, le méchant est vaincu dès ce premier tome : ça va plus vite que prévu. Ensuite, le héros est malade, sans espoir de guérison miraculeuse, ce qui le fragilise face à une forme de soudoiement à la fois franc et sournois. De plus, le lecteur habitué de ce scénariste retrouve son thème favori : la famille et, ici, le rapport au père, ainsi que ce qu'il a cédé à son fils. Zebadiah a choisi un mode de vie très particulier : il fait partie d'une caste de chevaliers (Mosak) et a refusé de transiger face à l'ennemi, d'accepter quelque sorte de compromis que ce soit, ou presque. Zebadiah meurt dès les premières pages, mais Adam Osidis continue de se débattre avec les actes de son père. Son père avait choisi un mode de vie qui a conditionné celui de son épouse et de ses enfants, avec pour conséquence la mort de l'un d'eux.


Rapidement, le lecteur constate que le scénariste raconte une histoire premier degré (destituer un despote) dans un monde plus fantasy que science-fiction, rendu consistant par la narration visuelle. Il utilise les conventions de ce genre pour raconter une histoire de choix moral et de questionnement sur les valeurs du père. Rick Remender préfère montrer plutôt que de se lancer dans de longs discours. Il montre une autre facette de Grant McKay, le personnage principal de Black Science. Comme lui, Zebadiah a privilégié son sens moral personnel, le plaçant avant le bien être de sa famille. Son choix apparaît certes intransigeant dans la mesure où il relève d'une forme d'absolu, mais aussi comme celui préservant la liberté de sa famille (à un prix élevé). Adam Osidis est soumis à la tentation : il entend la proposition de Garils Sulm, celle-là même que son père a repoussé sans compromis, sans négociation. Mais il n'est pas son père et les enjeux sont différents. Alors même que les camps du bien et du mal sont bien délimités, le scénariste sait introduire de l'ambiguïté, questionne le prix à payer en des termes nuancés, affectifs, mais aussi moraux. À la fin du quatrième épisode, le récit a emmené le lecteur dans une situation à laquelle il ne s'attendait pas, et il se trouve finalement incapable de savoir quelle est la bonne décision à prendre pour Adam Osidis.


Chaque série de Rick Remender contient des éléments intangibles : la relation au père. Chaque série de cet auteur est différente des autres, ici dans un genre apparenté à la Fantasy. La narration visuelle de Jerome Opeña s'attache beaucoup plus aux personnages qu'aux environnements, ce qui obère d'autant l'immersion du lecteur. Dans le même, l'intrigue s'attache elle aussi beaucoup plus aux personnages qu'au milieu dans lequel elle se déroule, la forme étant en phase avec le fond. Petit à petit, le lecteur s'attache à Adam Osidis et se ressent le dilemme cruel dans lequel il se trouve, ne sachant plus trop dire quelle est la bonne décision, e sachant plus trop si ces 7 contre l'éternité sont les compagnons d'arme d'Osidis ou ses enfants.

Presence
9
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le 7 janv. 2020

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