Le profil général du scénario se simplifie par rapport au tome 1 : dès que l'on a compris qui est Aquila, la foule hétéroclite qui constitue le "réseau" pâlit et s'efface d'un coup, pour ne plus laisser place qu'à une succession de confrontations, dont le traitement mérite plus d'intérêt que la pente générale de l'intrigue. On ose même nous faire le coup du "méchant-qui-menace-d'égorger-la-fille-qui-a-un-faible-pour-le héros". A ce niveau-là, ce n'est plus du scénario, c'est une compilation de procédés éculés. Toutefois, le suspense, au sujet de cet objet insignifiant qu'est un timbre postal, est bien maintenu jusqu'au bout. En revanche, ce chat récurrent, sur lequel les auteurs insistent visiblement, ne semble pas avoir de signification qui mérite tant d'attention.
Pourtant, l'album tient bien la route. Le dessin est scrupuleux, particulièrement dans la restitution des décors et personnages réels de l'époque. Décors parisiens (Le Sacré-Coeur), extraits de presse, affiches et graffitis sur les murs, monde des "Apaches" à casquette, insupportables papiers peints muraux aux fleurs criardes, inscriptions arquées inspirées de l'Art Nouveau... Spectaculaire passage sur un attentat terroriste aux Galeries Lafayette, avec un soin particulier dans la restitution des décors sculptés, des fers forgés, des verrières, des coupoles... Il n'est pas invraisemblable que cette panique dans un grand magasin parisien ait été inspirée aux auteurs par le célèbre incendie du Bazar de la Charité (1897), qui avait marqué les esprits à l'époque. Dans la même veine, belle poursuite en biplan au-dessus du front de guerre.
On se rend compte, sur le tard, que tout le scénario a été bâti pour mettre en scène un fait parfaitement historique : la nomination de Clémenceau comme Président du Conseil en 1917, Clémenceau préféré à Joseph Caillaux, partisan d'une paix à tout prix, même à celui de la défaite et de la honte. "Le Réseau Aquila" fonctionne sur la trahison morale de ces munichois avant l'heure, qui renonceraient à tout pourvu qu'on signe une paix. Les dirigeants français actuels, capitulards devant l'étranger comme ce n'est pas permis, devraient en prendre de la graine.
La trame du scénario ne bouleversera personne, mais les dessins, la maîtrise du suspense et le rendu de l'atmosphère Belle Epoque sont assez réussis.