Le bleu est une couleur chaude
7.4
Le bleu est une couleur chaude

Roman graphique de Jul' Maroh (2010)

Le bleu est une couleur chaude par Marion Ollivier

Ayant récemment vu la Palme d’or d’Abdellatif Kechiche, La Vie d’adèle, je me suis dit qu’il étant temps de lire la bande dessinée à l’origine de ce film fascinant, et de cette magnifique histoire d’amour.
Et je n’ai pas été déçu.

La bande dessinée porte clairement sur l’homosexualité. La découverte d’un sentiment étrange, l’Amour, couplée d’une attirance inconnue, qui dérange, qu’on ne peut contrôler et qui enflamme.
Clémentine (qui devient Adèle dans le film) est très complexe. On ne sait si c’est une figure forte ou fébrile. On la voit tantôt se morfondre, n’acceptant pas ce que son intérieur lui crie, et tantôt assurée, face à Emma, celle qu’elle refuse par la raison, mais que son cœur et son corps réclament pour survivre. Cette envie qui brûle en elle (à la flamme bleue…) la pousse à se prendre en main et à s’assumer au cours de son adolescence.


C’est une bande dessinée sur l’adolescence, qui mêle tout ce qu’on a connu: le lycée, les cours, les faux amis (ceux qui jugent et réfutent sans raisons), l’amitié (la vraie), la famille, la politique qu’on ne comprend pas forcément…
Une bande dessinée sur le changement, celui qui s’opère sans qu’on ne puisse le contrôler, celui qui domine. Clémentine, portée par la peur du jugement et par des préjugés accumulés depuis toujours, refuse cette attitude contre nature. Une fille est faite pour aimer un garçon, et non une autre fille, c’est ainsi que doit se faire la vie, si je dévie je suis un monstre. Mais non Clémentine, la vie n’est pas écrite pour être vécue de la même façon par tous. L’amour ne devrait pas être une source de tels conflits, c’est ce qu’Emma et son ami Valentin vont lui enseigner. Aimer est un état qui ne se choisit pas, c’est un ressenti qui ne peut être enfermé entre des frontières pré-établies par une société aveugle, une société qui accuse l’homosexualité, qui pointe du doigt cette déviance. Non Clémentine n’est pas un monstre, elle n’est pas contre nature, bien au contraire, elle fait partie des gens qui acceptent l’amour pour ce qu’il est, pour ce qu’il offre et non pour ce qu’il devrait être selon les bonnes personnes bien pensantes…


Une bande dessinée sur l’Amour enfin. Ce terrible amour. Lui aussi, impossible à contrôler, impossible à maîtriser ni à comprendre. Un jour on croise un être, homme ou femme, peut être cet être a des cheveux bleus qui semblent être la lumière qui vous sort des ténèbres, peut être que vous le repousserez, peut être que vous ne le comprendrez pas. Cet amour impossible, cet amour improbable. La raison tente de l’étouffer, parce que ce n’est pas pensable, mais le cœur est persistant, et il est celui qui engendre nos états. Aucune raison, aucun esprit ne retiendra les larmes, ne refermera les plaies, ne rendra sourd les cris des entrailles qui font vibrer les corps, sinon ce n’est pas une vie.

Comment s’accepter si les terribles regards qui pèsent sur nous refusent de nous accepter ?
Ce qui est important avec cette bande dessinée, c’est que réunies, ces deux femmes en oublieraient presque leur sexe, ce qui importe ce n’est pas leur état, ce n’est pas leur homosexualité, c’est simplement ce qui les unies, l’amour qu’elles éprouvent. Cependant, quand elles ne sont pas ensembles, le doute assaille Clémentine, le doute causé par les autres, par les préjugés, par les chemins préétablis qu’il faudrait suivre… Tous ces messages inconscients se sont logés en Clémentine comme si elle le pensait vraiment, or elle n’a pas choisi de croire que c’était contre nature d’aimer une personne de son sexe, cette idée lui a été implantée au fil des années, au fil de son éducation sans qu’elle ne puisse le voir.
On voit ainsi la force du personnage qui, malgré cette coquille qui lui avait été imposée, la poussant à se sentir coupable d’un sentiment tout à fait naturel, va se libérer de tout ça grâce à sa volonté, et grâce à l’autre, son soutien, et son amour.

Le dessin est souvent oppressant, certaines planches rappellent un peu l’univers sombre de Blankets de Craig Thompson. Le jeu avec le bleu est doux, et nous permet de nous sortir de cette atmosphère étouffante, qui nous emprisonne à la façon dont elle emprisonne Clémentine.

Une comparaison possible entre le film et le livre ?
Le livre est clairement portée sur l’acceptation de l’homosexualité. La partie où les personnages ont vieilli est très courte et ne porte pas vraiment sur les mêmes sujets que dans le film.
Le film offre une plus longue vision sur la vie d’Adèle (=Clémentine), son adolescence et sa transformation ne sont pas très présentes. Ce n’est pas tellement l’homosexualité que le réalisateur a voulu souligner (pour lui cette dimension est vraiment naturelle, elle va de soi et le spectateur ne doit pas vraiment s’attarder sur cet élément), mais bien l’emprise de l’amour sur nos âmes, nos corps même. On entre en extase devant la puissance de ce film qui nous plonge dans la vie d’Adèle, et nous transporte dans le véritable amour, passionnel et destructeur.

Les deux œuvres sont originales, ont les mêmes personnages mais sont porteurs de deux messages différents.

Le petit + de la BD ?
Cette capacité à nous oppresser. Cette noirceur ambiante arrive à nous dévorer.
Le petit + du film ?
…tellement de choses. S’il ne fallait choisir qu’un détail, j’opterai pour la faculté de ce film à éveiller tous nos sens, à nous électriser, à nous faire sentir que cette histoire c’est notre histoire, que ça pourrait être nous, que cette fille devant nous, qui vit, respire, mange, fait l’amour, aime, pleure ça pourrait être n’importe lequel d’entre nous.
Marion_Ollivier
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le 8 janv. 2014

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Marion Ollivier

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