Conçu comme un épisode parallèle au projet "Third World War" paru dans sa revue 2000 AD, ce scénario de Pat Mills entend insuffler un peu de subversion et de critique sociale dans les comics britanniques de l'époque.
On doit à Mills quantités de créations originales et de collaborations fructueuses, mais cette charge anti-apartheid plus complaisante que pertinente m'a laissé plutôt sceptique.

Nous sommes dans la tête d'un flic brutal rongé par un racisme maladif, apparemment hérité d'un traumatisme de son enfance durant laquelle il vit sa mère massacrée par un insurgé Mau Mau.
L'adulte détraqué qui en résulte, élevé au biberon de la ségrégation, assouvit ses espèces de fantasmes de domination morbides en harcelant de jeunes militantes noires, sur lesquelles il projète sa conception tordue d'une supposée guerre des races: Les noirs sont de fourbes sauvages aux corps libidineux qui conspirent à la chute de l'ordre blanc, et qui n'hésitent pas à s'allier aux libéraux et gauchistes de tous poils…
En bon facho hypertrophié, l'inspecteur Ryan prend son rôle dans l'appareil sécuritaire très à coeur, jusqu'à ce qu'une jeune femme lui oppose une résistance farouche et le fasse sombrer dans les réminiscences d'un passé refoulé.

Derrière cette intention louable et potentiellement intéressante, Le Fardeau de l'Homme Noir accumule les facilités et les effets de manches pour appuyer un propos vite saisi et souvent lourdingue, puisque la paranoïa de l'anti-héros revêt un caractère essentiellement sexuel.
On peut apprécier ou non le style graphique de John Hicklenton, mais dans ce récit je trouve qu'il n'arrange rien à l'affaire: Très maniéré, parfois approximatif ou maladroit, il manque de distance et renforce l'idée de deux ados dépassés par les rigueurs de leur sujet.

Le titre lui-même ressemble à une fausse bonne idée:
"Le fardeau de l'homme blanc" est un poème de Kipling dans lequel il exhorte la civilisation occidentale impérialiste à prendre ses responsabilités vis-à-vis des populations colonisées. Entendre par là que les sauvages ignorants n'attendaient que la sagesse blanche pour s'extirper enfin de leur état végétatif, proche de l'animalité.
Le fardeau de l'homme blanc consiste donc à éduquer ces masses inconscientes malgré leur manque systématique de reconnaissance, en plus de leur épargner la difficile gestion des ressources de leurs pays.
Le boulet de ce colonialisme moralisateur traîne toujours au pied de Kipling, et il ne l'a pas volé.

Qu'en est-il alors de ce "Fardeau de l'homme noir"?
S'agit-il d'opposer au racisme un autre racisme?
Y a-t-il plusieurs racismes?
On comprend que les auteurs ont voulu signifier par là que l'homme noir a pour responsabilité de ramener son frère blanc à la raison et à l'équité, mais dans ce joyeux foutoir le message passe difficilement, et peine à prendre la dimension critique qu'il devrait avoir.

À contourner
Gauche-a-Droite
1
Écrit par

Créée

le 29 mars 2014

Critique lue 84 fois

1 j'aime

Gauche-a-Droite

Écrit par

Critique lue 84 fois

1

Du même critique

Les Mille et Une Nuits
Gauche-a-Droite
9

L'invention de l'Orient

Lorsqu'Antoine Galland entreprend la traduction d'une compilation de contes arabes du VIIe siècle, elle-même adaptée d'une source persane perlée d'influences indiennes, il se doutais sûrement de...

le 24 avr. 2014

24 j'aime

7

Ici
Gauche-a-Droite
10

Nouvelle Réfutation du Temps

Vous êtes ici, ici et maintenant. Ou plutôt, ici et de tout temps, en chaque instant, comme figé dans le paradoxe de Zénon: Chaque fraction d'espace que doit franchir la flèche tirée par l'arc est...

le 8 févr. 2015

13 j'aime

8