Le pavé de Paris
8.4
Le pavé de Paris

BD (divers) de Emmanuel Guibert (2007)

Voici la réédition, augmentée de 32 pages inédites, d’un livre d’Emmanuel Guibert publié en 2004 chez Ouest-France. Le Pavé de Paris est une balade onirique à travers la capitale française. Dessins à la gouache, croquis au crayon, c’est par sa graphomanie, entamée au début des années 1990, que l’auteur et illustrateur français nous fait découvrir la ville de Paris.


C’est le cœur battant de la France. Son poumon économique. Une capitale culturelle et patrimoniale. Chacun, forcément, s’en fait sa propre idée. Mue par des expériences personnelles, affectée par les passerelles dressées de tout temps par les arts (comment ne pas songer dans le cas présent au Midnight in Paris de Woody Allen ?), l’appréhension d’une ville se fonde d’après une série d’interconnexions sur lesquelles il est difficile de mettre les mots justes. Avec son « pavé » au format pour le moins original, Emmanuel Guibert nous propose une expérience où la Ville Lumière est prise sur le vif, davantage croquée que raisonnée, toujours perçue à travers une subjectivité passionnée. Il s’agit de poser un regard sur un regard, le nôtre sur celui du dessinateur, et ainsi de saisir Paris à travers un double prisme. Mais aussi selon deux modalités : le portrait d’observation esquissé et textuel. Car si Le Pavé de Paris est richement – et diversement – illustré, il se distingue aussi par des textes allant de quelques mots à quelques pages, relatant des anecdotes vécues par l’auteur.


Le crayon, le bic, le pinceau, le pastel… Tout est bon pour portraiturer Paris. En couleurs ou en noir et blanc, avec finesse ou avec fougue, à traits soignés ou rapides, de manière abstraite ou réaliste. La somme des dessins rassemblés dans Le Pavé de Paris se caractérise par une pluralité de styles, de moyens et de sujets qui sied bien à la représentation d’une métropole vivante, cosmopolite et géographiquement hétérogène. Emmanuel Guibert se penche sur la nature – les animaux, les arbres, les parcs dans lesquels on se ressource –, sur l’urbanité – la ville, ses avenues, ses bâtiments, son mobilier –, sur les moyens de transport – la voiture, le bus, le train, le camion, la mobylette –, sur la technologie – les téléphones portables, les jeux vidéo, la télévision. Il dessine les hommes et les femmes, en action ou pas, au travail (le dessinateur de lettres refaisant la devanture d’un commerce) ou pendant leur temps libre (musique, danse), parfois de manière partielle (une jambe par exemple) ou dans une figuration quasi mystérieuse (les visages en clair-obscur).


Le Pavé de Paris éclaire aussi la capitale française par ses textes. Ce n’est pas une surprise que l’un d’entre eux porte précisément sur l’emblème de la ville : la Tour Eiffel. Emmanuel Guibert en saisit toute la poésie en verbalisant sa verticalité, ses vues imprenables, mais aussi ses incongruités multiculturelles, notamment lorsque des touristes espagnols se parlent entre eux… en anglais. À une échelle plus réduite et intime, il y a ce voisin aux mœurs légères, dont les exploits charnels amputent systématiquement vos nuits d’une ou deux heures. Il y a ces jeux de reflets sur les vitres du bus, où la tête d’un usager peut sembler traversée de part en part par un véhicule motorisé. Il y a ces rencontres inattendues, parfois engendrées par le dessin. Emmanuel Guibert s’amuse de certaines situations : des immigrés répondant à une plaisanterie en arguant que ne pas jouer aux boules avec les étrangers revient à ne plus y jouer du tout ; une femme faussement décontractée se faisant raccompagner chez elle par un parfait inconnu ; un appartement réaménagé de fond en comble pour les besoins d’une publicité ; une fillette, camarade de classe de son enfant, auprès de laquelle on s’enquiert de la situation amoureuse de sa mère…


Qu’est-ce, au fond, que Le Pavé de Paris ? Une invitation au voyage ? Une traversée subjective de Paris ? Une expérience plastique ? Ou textuelle ? On retiendra avant tout la poésie d’un regard qu’on imagine fasciné. La volonté de saisir par bribe, avec le geste ou les mots, la réalité d’une métropole bouillonnante et plurielle.


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 24 nov. 2020

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