Le temps des sauvages
7.1
Le temps des sauvages

BD franco-belge de Sébastien Goethals (2016)

Le temps des sauvages: Goethals croise Gunzig et le loup est plus que jamais un homme pour le loup

Extraits et critique sur: https://branchesculture.com/2016/12/06/le-temps-des-sauvages-thomas-gunzig-sebastien-goethals-bd-futur-thriller/


Demain, c’est déjà aujourd’hui, et le monde tel que Thomas Gunzig l’imagine ne fait pas forcément envie: des hommes mutants, une loi du marché (façon Stéphane Brizé) encore un peu plus renforcée et un déferlement de violence à peine croyable. Dans Manuel de survie à l’usage des incapables, l’homme était déjà un loup pour l’homme (ou peut-être serait-il plus juste de dire « Le loup est un homme pour le loup« ?), c’est on ne peut plus vrai dans l’adaptation en roman graphique qu’en a fait Sébastien Goethals qui porte le doux nom « Le temps des sauvages »! Un cri spectaculaire, une dénonciation d’une société qui va de mal en pis.


Jean a-t-il vraiment choisi son métier? Sans doute pas, il a pris ce qui venait et ce qui pouvait lui permettre de gagner sa vie tout en gardant son couple en équilibre. Sa femme est carriériste, alors il se contente de son job pas bandant pour un sou. D’autant qu’ici, le moindre profit compte et chaque perte même infinitésimale est à proscrire. Alors, Paul vaque à ses occupations d’agent de sécurité, laissant l’humain au vestiaire pour mieux trimbaler sa méfiance dans les rayons du supermarché qui l’engage ou derrière les caméras de… surveillance, étudiant l’efficacité des troupes mobilisées aux caisses. Et il fait bien, on ne peut pas dire que Martine soit au top de sa forme: le temps c’est de l’argent et elle ne va pas assez vite. En plus, aussi incroyable que cela puisse paraître, elle fricote avec… Jacques Chirac, le colosse du rayon-primeur.


Il n’en faut pas plus pour les virer vite-fait mais rien n’est aussi facile et rien ne va se passer comme prévu. Martine meurt par accident de la main de Jean. Et voilà que les quatre fils de cette caissière, des hommes-loups dont la violence n’est plus à prouver, et est justement exaltée par un récent cambriolage, se lancent à la poursuite de Jean et ses proches. Pendant ce temps, le commerce continue de tourner!


Tourner, Thomas Gunzig le fait bien aussi, mais rarement dans le vide. Passé des nouvelles au roman, de la page à la planche, sans oublier le grand écran (il avait signé le succulent scénario du Tout nouveau testament de Jaco Van Dormael qui n’en finit plus de faire des étincelles dans les festivals internationaux) et la radio. Le temps d’avaler un café serré et le voilà désormais mis en case par la force de caractère de Sébastien Goethals. Car il en faut pour s’atteler à un tel pari. Manuel de survie à l’usage des incapables (récent Prix triennal du roman de la Fédération Wallonie-Bruxelles, trois ans après sa parution) est loin d’être le roman le plus facile de Gunzig. Débordant de bonnes idées sans pour autant oublier l’action, trouvant les bons concepts pour alimenter cette critique corrosive d’une certaine société de consommation… qui est la nôtre.


Ainsi, dans le monde réanimé (bon, le roman n’est pas vieux, hein) par Sébastien Goethals, la richesse de Thomas Gunzig a trouvé un bon placement. Rien n’est trahi et, en 266 planches, l’auteur de bande dessinée réussit à intégrer parfaitement et avec un excellent tempo les thèmes développés par le Bruxellois: le désespoir, les racines des hommes, la course aux bénéfices, les apprentis sorciers et leurs petits jeux avec les génomes en vue d’obtenir des hommes plus résistants, plus animaux.


Le temps des sauvages est un livre dense dans lequel le noir (et l’humour qui y est associé) et le blanc s’imposent entre la vivacité des actions musclées et des dialogues passionnants. Dans le dessin de Sébastien Goethals, tour à tour brutal et fort en ambiance, on retrouve toute l’inventivité de Thomas Gunzig, la férocité aussi. Conscient et à cheval sur ce qu’il a lu, Goethals livre une oeuvre intègre avec l’original et la renforçant par un dessin audacieux et prenant. Et si, dans les premières planches, le dessinateur se permet même un générique « plus cinématographique tu meurs », force est de constater qu’au vu du talent du garçon, le cinéma aurait été bien en peine de faire mieux que cette adaptation mortelle. Car oui, pas sûr que les héros seront toujours en vie à la fin! À vous de voir qui de l’homme ou le loup est le plus dangereux.

Alexis_Seny
7
Écrit par

Créée

le 7 déc. 2016

Critique lue 292 fois

2 j'aime

Alexis Seny

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