Ce tome fait suite à Vers quel avenir ? (épisodes 55 à 60) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 61 à 66, initialement parus en 2009, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des aplats de gris apposés par Cliff Rahtburn.


La petite troupe unissant la communauté de Rick Grimes et celle d'Abraham Ford continue de progresser lentement mais sûrement sur la route, qui dans un véhicule blindé, qui à cheval, avec comme objectif d'atteindre Washington. Soudain Andrea demande un arrêt immédiat : elle a repéré un petit combi sur le bas-côté. La troupe s'arrête, Dale réussit à le faire démarrer, le couple est aux anges à l'idée de retrouver un minimum d'intimité. Pendant la nuit, Rick Grimes recommence à jouer avec son téléphone. L'objet lui permet de formuler à haute voix son angoisse inconsciente : le développement de son fils Carl. Le lendemain, la petite troupe se prépare au départ. Andrea s'inquiète et part à la recherche des jumeaux Ben et Billy. L'un des enfants du groupe en a tué un autre. Tous les adultes restent interdits, incapables de savoir quelle attitude adopter vis-à-vis du coupable, mineur, même pas adolescent.


Le même jour, un être humain en bonne santé se présente au groupe toujours immobile : le père Gabriel Stokes. Il explique qu'il a survécu jusqu'ici en s'étant barricadé dans son église, mais que sa réserve de nourriture commençait à s'amenuiser dangereusement. À nouveau se pose la question de confiance : faut-il croire à son histoire ? Est-il possible de l'intégrer au groupe sans arrière-pensée ? Faut-il accepter son invitation à le suivre jusqu'à l'église ? Pendant la nuit, quelqu'un dans le campement réussit à assassiner froidement l'enfant meurtrier, au nez et à la barbe de tout le monde. La consternation atteint des sommets. À l'arrêt pendant la nuit suivante, Andrea est certaine qu'une personne les observe de loin en se cachant dans la forêt. La même nuit, Eugene Porter se rince l'œil en regardant les ébats de Rosita Espinosa et Abraham Ford dans la cabine du véhicule blindé.


Carrément ! Avec le premier épisode de ce tome, personne ne peut décemment reprocher à Robert Kirkman de s'installer dans un train-train narratif. Il a concocté plusieurs séquences chocs dont il a le secret. Il est vrai que ces moments brutaux et sadiques sont l'une des marques de fabrique de son écriture. Il ne lésine pas sur la dose dans ce tome : meurtre d'enfant de sang-froid par un autre enfant, partie de jambes en l'air (mais une seule cette fois-ci, on est loin de la copulation de lapins des premiers tomes), cannibalisme, mutilation, quelques irruptions inopinées de zombies pour faire bonne mesure, et encore d'autres joyeusetés du même acabit. Le lecteur ne peut vraiment lui reprocher de se ramollir. On peut au contraire trouver qu'il a la main lourde et que le sadisme s'exerçant à l'encontre des personnages peut être perçu comme avilissant pour le lecteur qui se retrouve en position de voyeur, pas forcément consentant.


Il n'est pourtant pas possible d'accuser Robert Kirkman de racolage gratuit pour conserver son lectorat à tout prix. Pour commencer, ce mode narratif est le sien depuis le début de la série, et parvenu au tome 11 le lecteur le sait bien. Il ne se passe un seul tome sans une mort définitive, sans une expression de cruauté terrifiante (il suffit de se souvenir de Philip Blake), sans des traumatismes psychiques d'une violence inouïe pour l'un ou l'autre des protagonistes. Arrivé au onzième tome, le lecteur peut avoir l'impression que la série est bien installée et que les auteurs peuvent dérouler leur histoire sans craindre l'érosion du lectorat, mais ce serait oublier qu'elle fait l'objet d'une prépublication en feuilleton mensuel et qu'il faut s'assurer du retour de chaque acheteur chaque mois. La forme du feuilleton requiert des rebondissements réguliers, des coups de théâtre, de la violence, du sang. Comme d'habitude, Charlie Adlard est fortement mis à contribution pour que le ressenti des personnages se lise sur leur visage, du choc à l'effroi, en passant par la terreur et la stupeur la plus totale. Bien souvent, le dessinateur a recours à des plans poitrine ou des gros plans focalisés sur le visage pour bien faire comprendre. En fonction du nombre qu'il utilise (2 ou 3 visages sur une page, ou 2 ou 3 pages de visages), l'intérêt visuel est plus ou moins prononcé.


En outre, Robert Kirkman ne se contente pas de construire des horreurs soudaines. Il utilise ce dispositif narratif propre à conserver l'intérêt du lecteur, mais il l'utilise dans une perspective à long terme. Cet assassinat entre enfants ne sort pas de nulle part. On ne peut pas dire que le lecteur était très familier de Ben et Billy. Le scénariste ne leur avait pas consacré beaucoup de temps, il ne s'était pas investi pour donner une personnalité spécifique à chacun. Même Carl subit plus les événements qu'il ne montre un véritable caractère. Pourtant, les dessins montraient bien l'entrain et la vivacité de Ben et Billy, en cohérence avec leur âge. Le lecteur se souvient les avoir vus courir partout. Il se rappelle de l'inquiétude dans le regard d'Andrea et Dale quand ils les observaient. Sans les connaître, le lecteur avait conscience de leur présence, de leur existence et de leur âge. Par ailleurs, Kirkman a montré à plusieurs reprises la difficulté pour Carl Grimes de donner un sens aux événements se produisant dans le monde dans lequel il vit. Les plans poitrine et les gros plans sur le visage de Carl se rappellent au souvenir du lecteur. Il se souvient bien de ces regards perdus, et de ce visage souvent dans la pénombre du chapeau donné par son père. Derrière les faits choc et le sadisme malsain sous-jacent des événements, le lecteur comprend que l'auteur développe logiquement les traumatismes provoqués sur des enfants, par le fait de vivre chaque dans un environnement mortel, de voir des adultes ne pas savoir comment gérer les deuils et les drames, etc. Il s'agit de choquer le lecteur par une forme de divertissement pervers (ce qui est cohérent avec le fait qu'une série de zombies s'inscrit dans le genre de l'horreur), mais aussi de mettre à nu les fondamentaux de la société.


Au cours de ce tome, plusieurs scènes attestent que les adultes souffrent également, et pas que dans leur chair. Le confort matériel a disparu, la sécurité est en passe de devenir un concept dépourvu de sens, et tous sont redescendus à l'échelon le plus bas de la pyramide d'Abraham Maslow. Il y a un prix exorbitant à payer sur le plan matériel, et peut-être encore plus exorbitant sur le plan psychique. L'arrivée impromptue du prêtre Gabriel Stokes rappelle encore une fois avec force que chaque nouvel individu est un danger en puissance. Il est impossible de connaître son état d'esprit, son histoire personnelle, ses motivations, et le prix psychique qu'il a dû payer pour avoir survécu jusque-là. Non seulement il peut s'agir de l'éclaireur d'une autre communauté mal intentionnée, mais en plus il peut constituer un psychopathe au comportement imprévisible et meurtrier. Du coup, Eugene Porter prend sur lui d'engager un dialogue avec Gabriel Stokes sur le thème de la religion pour s'assurer qu'il est bien ce qu'il prétend être.


Les 2 hommes se promènent tranquillement dans les bois, à la recherche d'un membre de la communauté porté disparu pendant la nuit. Les dessins montrent qu'ils devisent tranquillement, sur fond d'arbres dont il est toujours impossible de reconnaître l'essence, mais avec un feuillage donnant une impression pleinement convaincante de frondaison. Le lecteur se doute que Porter est en train de vérifier que Stokes est bien un prêtre, et il assiste en même temps à une critique sur la cohérence du dogme religieux chrétien. De manière inattendue, Kirkman semble prendre une position ferme et arrêtée sur le sujet, sans hypocrisie, l'homme de science démontant la foi du prêtre de manière habile, bien que trop pragmatique. L'auteur prend le risque de s'aliéner une partie de son lectorat, et il semble l'assumer pour la deuxième fois de la série.


Ce tome marque aussi la continuité de la déliquescence des lois civilisées pour un retour à une justice plus sauvage, plus vengeresse et même plus barbare. Ainsi Rick Grimes reprend le dessus et décide de se venger des barbares en appliquant la loi du Talion, à la lettre. Charlie Adlard réalise 6 pages en sous-entendus et sans l'aide d'un seul mot, sans description directe des mutilations, mais sans que le lecteur ne puisse se tromper sur ce qui est en train de se passer. Dans ce contexte, son sens de la dramatisation trouve un emploi opportun, l'intensité des sentiments mis en jeu justifiant les angles de vue de biais, et les regards durs et fermés, alourdis par la conscience de l'horreur commise. Le lecteur réagit forcément à de tels actes barbares. Il peut rationaliser le besoin de vengeance, celui de faire souffrir. En même temps ces actions ne font qu'ajouter à la souffrance, sans rien résoudre. À partir de là, il peut soit estimer que ces exactions sont légitimes, cathartiques et nécessaires, soit estimer qu'il s'agit d'une cruauté sans raison valable. Dans tous les cas, il se pose forcément la question et il réfléchit à ce qui lui est montré. Il se voit dans l'obligation de prendre position.


De la même manière, le contexte induit une mise à mort, une exécution capitale. Il y a le sentiment de satisfaction intense de voir les criminels recevoir un juste châtiment. Il s'agit d'une solution simple et juste, dans un monde plus simple. Il n'est pas possible de laisser vivre des prédateurs humains, s'attaquant à leurs congénères. Bien qu'il soit entièrement convaincu par cette exécution sommaire, le lecteur ne peut s'empêcher de se poser la question d'une possible rédemption ou neutralisation. La communauté de Rick Grimes et Abraham Ford ne peut pas s'offrir le luxe d'une prison, encore moins d'un centre de rééducation d'une sorte ou d'une autre. Elle ne dispose pas de cette option. En même temps, le lecteur se pose la question de savoir comment il en aurait été dans son propre environnement civilisé, et surtout quel est son avis. C'est l'une des qualités de la narration de Charlie Adlard et de Robert Kirkman que de provoquer une réaction émotionnelle chez le lecteur, ce qui l'incite à s'interroger sur sa réaction qui relève d'une conviction. Cela fait partie des éléments qui élèvent ce récit de survie, au-dessus du simple récit de genre.


Comme les autres, ce tome comprend d'autres composantes intéressantes. Robert Kirkman continue de malmener ses personnages, et de les faire évoluer. Depuis quelques épisodes, le lecteur attend patiemment que Rick Grimes se ressaisisse et reprenne le commandement de la communauté, en ayant la certitude qu'il le fera. Du coup, il observe les signes avant-coureurs, à commencer par l'évolution de l'état d'esprit d'Abraham Ford vis-à-vis de cet autre alpha-mâle. Adlard réussit à montrer la dualité de Ford, à la fois imposant physiquement, à la fois complexe sur le plan psychologique, avec des points de fragilité dans sa cuirasse. En termes de portrait psychologique, le scénariste continue de développer la question de l'enfance. Les différents enfants présents dans le récit ne disposent pas tous d'une vraie personnalité, Carl Grimes étant la seule exception à la règle. Néanmoins, Kirkman met en œuvre le principe selon lequel les enfants apprennent de l'exemple de leurs parents (ou des adultes) et reproduisent les comportements dont ils sont les témoins. Dans les tomes précédents, l'attention du lecteur avait déjà été attirée sur le fait que les caractéristiques de l'environnement transformé par l'infestation de zombies forment une vision du monde qui a des conséquences psychiques lourdes sur tout le monde, les adultes (tentatives de suicide) comme les enfants.


C'est ainsi que l'assassin d'un des jumeaux doit en payer le prix psychique. Robert Kirkman n'utilisant pas de bulles de pensée, le lecteur en est réduit aux conjectures concernant le cheminement de pensée qui a conduit l'enfant à commettre cet acte irréparable Comme à son habitude, le dessinateur réalise des visages sur lesquels le lecteur peut projeter l'émotion de son choix à sa guise, peut s'imaginer ce qu'il veut, tout en sachant que ce comportement s'est inspiré du modèle des adultes. Scénariste et dessinateur composent habilement les séquences suivantes, en réservant quelques cases à cet enfant, pour faire comprendre que la culpabilité le ronge. L'enfant ressent la tension psychique qu'a générée son acte, la consternation et il n'est pas équipé pour endosser cette responsabilité, ou plutôt pour l'écarter. Au-delà de la torture mentale infligée à cet enfant qui met mal à l'aise le lecteur, le scénariste pousse à nouveau le lecteur sur le terrain des émotions, l'obligeant à se demander quelle est l'alternative, comment les adultes pourraient aider la future génération à se construire. Ramené à sa propre réalité, le lecteur en ressort avec la conscience de sa propre responsabilité vis-à-vis du développement de ses enfants, ou de ceux qu'il croise.


Ce tome constitue à nouveau un tour de force sur le plan narratif, intrigue + dessins. Les auteurs peuvent donner l'impression de se débarrasser des poids morts pour que les personnages principaux puissent vivre de nouvelles aventures. Cependant l'enjeu du récit ne se limite pas à des péripéties et des rebondissements à grand coup de séquence choc. Même en se montrant critique vis-à-vis des dessins fonctionnels de Charlies Adlard, et du scénario très pragmatique de Robert Kirkman, le lecteur ressent le malaise de plusieurs personnages, de la culpabilité insupportable d'un enfant, à l'effarement d'adultes constatant la violence dont ils ont fait acte. Le lecteur réagit forcément à ses actions tranchées et inacceptables dans un environnement civilisés, prenant conscience de ce qu'il tient pour acquis et de ses propres convictions.

Presence
9
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le 21 juil. 2019

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Presence

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