Les Crocodiles
7.2
Les Crocodiles

BD franco-belge de Thomas Mathieu (2014)

Contiennent-ils tous dans le même sac ?

"Les humains ont un âge", "Les humains ont un sexe" menace Sens Critique en brandissant son petit badge "robot" si tu ne renseignes pas ces deux cases.
Ô poésie ironique du progrès immatériel : ces renseignements intéressent essentiellement les robots collecteurs de données.
A part dans le cas précis de cette critique, en utilisatrice anonyme de ce gadget, je n'ai pas envie que tu lises mes bafouilles avec ce voile de présomptions qui pèse IRL le poids d'une armure, protégeant parfois et enfermant souvent les hommes et les femmes, les beaux et les laids, les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres, les autochtones et les étrangers etc. etc.


Cette BD prend le postulat inverse. Sachez donc que l'auteur est un monsieur, mais je ne ferai pas de feministplaining, car l'aspect contradictoire de ses réflexions et de sa démarche n'a rien à voir avec son taux de testostérone.


Témoignages en vrac et justifications dogmatiques



Pourquoi dessiner tous les hommes en crocodiles ?
(...) J'ai toujours été en solide opposition avec l'idée (dangereusement antiféministe selon moi) que tous les hommes sont des prédateurs sexuels.



Insérez ici des considérations sur le conditionnement des deux sexes. Car l'on aurait aussi pu caricaturer les femmes en leur attribuant un animal et une couleur, mais c'était pas une bonne idée parce que...



Ce qui est important dans le projet Crocodiles, c'est qu'il relaye le point de vue des femmes.



Je résume ses propos : l'auteur est neutre, or comme personne n'est neutre dans la vie, il relaye le point de vue non-neutre des femmes, or, on ne leur donne pas souvent la parole alors il leur donne d'une façon qu'il considère antiféministe.


Ce faisant, il les crédite d'un manque total de discernement, car cette BD présente tous les hommes en crocodiles verts pour dénoncer d'une même haleine, sur un même niveau (exemples parmi d'autres) :


1- un gros lourd qui drague avec insistance mais reste poli
2- un vieux dégueulasse qui pousse des infirmières à le tripoter
3- un mec qui sodomise sa meuf alors qu'elle a dit non (un viol donc)
4- des gens qui minimisent le viol ou culpabilisent les victimes de viol (jupe trop courte etc.)
5- des racailles qui draguent lourdement des passantes et les insultent face à leur absence de coopération
6- un exhibitionniste
7- des collègues de travail ou embaucheurs potentiels aux paroles voire aux gestes déplacés
8- un type qui pousse sa meuf à se faire couper les cheveux et finalement trouve qu'elle était mieux avec les cheveux longs.


Monsieur le Crocodile a collecté beaucoup de matériel et choisi de le balancer en vrac au nom des femmes. Or l'ensemble des femmes, y compris les féministes, n'a pas ce point de vue aussi peu subtil que clairvoyant. A titre personnel, je revendique le droit des femmes à être aussi crétines que les crétins et ne prétends même pas avoir un point de vue particulièrement clairvoyant et subtil, mais il y a tout de même quelques différences évidentes entre les cas ici traités.


Cas 1- Le con qui drague
Doit-on laisser les cons se reproduire ? C'est une question intéressante mais complexe, à laquelle seuls les eugénistes ont trouvé réponse. Enfin selon eux.
Moi je suis d'avis de les laisser essayer de choper un peu quand même, parce que même ça, c'est pas facile pour eux : entre leur vulgarité et leur insistance malaisante de mec qui-putain-ne-voit-pas-que-c'est-mort-bordel, ils tendent chaque fois leur cou dodu vers un énorme râteau-couperet avec des dents très méchantes.
Or, cette BD entre autres bonnes âmes voudrait nous faire croire, à nous les femmes, et même à moi qui suis vieille et maquée, que le râteau-couperet n'existe pas, que les gros lourds ne tendent pas le cou, que l'on n'a aucun pouvoir dans cette affaire parce qu'en fait c'est nous et certainement pas eux, qui sommes victimes de ces pauvres cons tout minables qui essayent de choper comme tout le monde et s'y prennent super mal.


Cas 2 et 6 - Vieux séniles et exhibos
= cas cliniques. C'est certes offensant, et probablement très dur à vivre dans le cas des aides à domicile et infirmières, mais il se trouve que d'une part, les femmes séniles n'ont pas de filtres non plus bien que l'andropause ait des effets différents de la ménopause, et d'autre part, les femmes exhibos existent aussi bien qu'elles soient perçues très différemment dans notre société patriarcale. Bref, autant reprocher à un gastroentéritique de péter dans la ligne 13 à l'heure de pointe.


Cas 3 et 4 - Conjoint violeur et amis conciliants = criminel et complices.
Aucune envie de blaguer là-dessus. C'est rappelé dans la BD, plus de 80% des viols sont perpétrés par des gens que l'on connaît. Une réalité dure à admettre quand c'est un proche, mais dont les femmes et les enfants sont les victimes prioritaires et fréquentes. Il est absolument inadmissible que qui que ce soit continue à le minimiser.


Cas 5 - Les racailles en mal d'amour
C'est la catégorie préférée des féministes de magazine. Elle constitue à vue de nez les 4/5è des fameux "harceleurs de rue" car ils n'ont pas froid aux yeux, les bougres. Enfin de prime abord... Plusieurs expériences ont été menées à ce sujet : si la femme coopère, généralement ils s'avèrent être des timides, voire carrément des petites miquettes. Façon yorkshire, ça aboie mais ça mord pas, parce que l'on est plutôt dans la lutte sociale que dans la lutte des sexes. Ceci n'amoindrit pas le côté menaçant dont n'importe quel mec au look bourgeois interpellé par 4 wesh à peine pubères peut également témoigner. Et si ça n'est jamais excusable, le féminisme ne suffit pas à appréhender le mécanisme.


Cas 7 - Zob in job
Même une femme ordinaire, c'est à dire munie de son râteau-couperet bien aiguisé, se trouve dans une position délicate lorsqu'il s'agit de trancher le cou, même très symboliquement, d'un collègue, supérieur hiérarchique ou non, ou d'un potentiel client ou employeur. Dans ce cas, franchement, misogynes masculins ou féminins peuvent toujours donner toutes les leçons qu'ils veulent, il est extrêmement difficile de fuir ou de se défendre. Dieu merci, on progresse de ce côté, vous n'êtes pas sûre d'être ostracisée si vous faites part à la hiérarchie du comportement outrageant de Julien le contrôleur de gestion que tout le monde kiffe, mais c'est pas gagné.
Notons aussi le cas plus marginal et néanmoins réel de supérieures hiérarchiques harcelant des subordonnés masculins, et dans ce cas, comme celui des violences conjugales de femmes vers des hommes (rarement fatal, mais hélas plus fréquent que l'on ne croit), vous ne serez peut-être pas ostracisé Monsieur, mais certain de n'être jamais pris au sérieux.


Cas 8 - Casse-burettes et pervers-narcissiques
Comment les distinguer ? Pour Femme Actuelle c'est simple, c'est pareil. Mais dans la vraie vie, il y a quelques différences : tournure, récurrence, intensité, cadre intime ou en public...
Sur le terrain des pressions pour changer de look, d'habitudes, de fréquentations voire de maman, il y a match nul entre hommes et femmes. Casse-burettes, on l'est tous un peu car, la vie de couple, c'est pas facile.
Il peut cependant arriver qu'un casse-burette qui fait chier sur ces godasses mastoc qu'il déteste et que vous kiffez soit un pervers narcissique œuvrant à la destruction de votre amour propre, l'altération de votre personnalité et l'isolement progressif de votre personne en vue de vous posséder intégralement. Or là effectivement, les stats sont assez claires : les pervers narcissiques sont plus souvent des hommes, simplement parce qu'il est bien facile de choisir des proies parmi celles désignées malgré elles comme telles depuis des siècles : les femmes.


Féminisme première génération et ses effets mécaniques aidant, tout ceci va changer (le ratio de personnes en études supérieures dans les pays occidentaux est féminin désormais, pour la plupart des corps de métier). Ça a même déjà changé, y a qu'à voir comment flippent certains, ces couvertures "TERREUR FÉMINISTE" et autres gesticulations soralo-zemouriennes face à quelques groupuscules de nénettes véner pas tellement représentatives mais très médiatisées, comme ils le sont eux-mêmes d'ailleurs, médiocres parmi les médiocres.
Mais je ne vois pas comment les ouvrages tels que cette BD pourraient participer à ce changement : le propos confine les femmes dans leur rôle perpétuel de binôme et leur image de victimes au lieu de les pousser vers plus d'autonomie. Accessoirement, ce type de propos alimente la fureur des abrutis, ce qui n'est pas totalement désagréable, mais pousse certaines féministes à se désolidariser du combat, qu'elles jugent abêti, car formulé ainsi, il l'est.

claucloc
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le 27 oct. 2019

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