Voilà un album qui, la première fois que je l'ai lu il y a quinze ans, ne m'avait pas autant marqué que ses deux prédécesseurs. Mais aujourd'hui, avec mes yeux d'adulte, je considère qu'il s'agit de mon Clone Wars préféré et d'un des meilleurs comics Star Wars que j'ai pu lire.


Les Meilleurs Lames n'a pourtant pas la puissance antimilitariste et quasi-nihiliste de Dernier Combat sur Jabiim, ni l'oppression conradienne de Lumière et Ténèbres. Ici, pas de Rattenkrieg dans la boue ni de lente descente dans l'enfer du côté obscur de la Force : ce cinquième tome est en apparence plus décousu, il ne suit aucune continuité particulière, et à ce titre constitue moins un ensemble cohérent qu'un recueil d'histoires de guerre. Mais c'est précisément ce qui fait sa force, à mon sens.


La première chose qu’il faut savoir au sujet de ces Meilleurs Lames, c'est qu'il s'agit du premier album Jedi / Clone Wars dans lequel Quinlan Vos ne figure à aucun moment ; nous sommes en fait face à une suite directe de Dernier Combat sur Jabiim… mais pas seulement : des cinq chapitres, seuls deux sont consacrés à Anakin Skywalker et Obi-Wan Kenobi, et encore ces deux parties sont-elles séparées. Ce côté "Chroniques de la Guerre des Clones" décevra peut-être les aficionados de la narration plus linéaire de la majorité des livres précédents, mais pour ma part j'y souscris à 100% car la guerre paraît plus réelle, plus gigantesque lorsqu'elle se concentre sur des personnages en apparence plus insignifiants plutôt que sur les "superstars" Skywalker, Kenobi et autres Vos.


Dans l'immédiat, le premier chapitre commence là où le tome 3 s'était achevé : dans l'antre d'Asajj Ventress, où la tueuse chauve est occupée à torturer le commando clone Alpha, qui a lui aussi survécu à l'explosion du quadripode. Il est étrange que Ventress perde son temps avec un simple clone, fut-il d'élite, mais cela donne lieu à deux planches d'ouverture très amusantes, comme toujours avec Alpha et sa verve bien à lui. Obi-Wan Kenobi est toujours enchaîné et son visage toujours recouvert par le ridicule masque de catch vu dans l'épilogue de Jabiim, censé le ronger grâce à des vers (?) ; je dis bien "censé" car c'est totalement gratuit et sans conséquences, et n'empêche pas le jedi de s'échapper avec Alpha.


Pour mieux couvrir leur évasion, les deux hommes libèrent aussi tous les autres prisonniers de la forteresse de Ventress, dont une face de requin du nom d'Osika Kirske, qui leur apprend qu'ils se trouvent sur sa planète natale et celle de Ventress, Rattattak, un monde constamment ravagé par la guerre. Kirske était jadis le plus puissant seigneur de guerre de la planète, et les parents de Ventress ses rivaux, aussi les fit-il exécuter. La petite Asajj serait morte elle aussi sans l'arrivée impromptue d'un chevalier jedi appelé Ky Narec, qui la prit sous sa tutelle. Ensemble, Narec et Ventress apportèrent la justice sur Rattattak, avant qu'un effort combiné des seigneurs de guerre ne coûte sa vie au premier… terrassée par ce nouveau cruel coup du sort, Ventress bascula du côté obscur et, avec l'aide de son nouveau maître le Comte Dooku, devint la dirigeante incontestée de la planète et le bras armé de la Confédération.


Ce destin tragique apporte de l'épaisseur au personnage déjà sexy et fascinant de Ventress, "par deux fois orpheline", comme le fait remarquer amèrement Kenobi. Des années plus tard, Dave Filoni ne pourra s'empêcher de piocher sur cette histoire d'Haden Blackman et Tomas Giorello pour son dessin animé The Clone Wars, où il fera cependant de Ventress une Sœur de la Nuit réduite en esclavage avant sa rencontre avec Narec puis Dooku.


Obi-Wan fait d'ailleurs état de sa pitié pour la jeune femme lorsqu'avec son propre sabre et celui de Narec, il affronte Ventress après que cette dernière ait promptement décapité Kirske. La fragilité émotionnelle de la jeune femme permet au jedi de prendre le dessus et de s'enfuir avec Alpha en volant son propre voilier solaire.


Le chapitre 2 est fort différent puisqu'il s'intéresse à un personnage essentiel de la saga SW, cependant réduit au simple rang de figurant de luxe dans le dernier film en date : Bail Organa, sénateur d'Alderaan et futur père adoptif de la princesse Léia. Braquer les projecteurs sur l'un des illustres connus de la franchise n'est pas le moindre des mérites de cette histoire, l'une des meilleures jamais écrites pour un médium SW, et je pèse mes mots. À l'issue de ces quelques pages, il est facile de voir en Bail celui qui a façonné la force de caractère et le sens de la justice de la princesse préférée des fans. Bail est courageux (lui non plus n'a pas peur de dégainer son blaster lorsque son vaisseau plénipotentiaire est attaqué…), généreux (il n'abandonne pas ses amis, fussent-ils déchus), incorruptible (il refuse de laisser ses déboires servir à miner ses idéaux) et profondément attachés aux idéaux démocratique de la république.


Mais comme si cela ne suffisait pas, le personnage de Bail lui-même n'est d'ailleurs pas le seul tir manqué par L'Attaque des Clones et corrigé par ce chapitre. Le traitement de la politique par George Lucas a toujours été l'un de mes plus gros problèmes avec la Prélogie : hormis la délégation des 2000 dans l'Épisode III (coupé au montage finale…), tout n'est que balayé à la surface, superficiel, manichéen : certains sénateurs sont méchants et corrompus, d'autres sont gentils et honnêtes, Palpatine tire les ficelles, et c'est tout. Ce récit de John Ostrander et Brandon Badeaux montre bien la profondeur des maux qui rongent la République en guerre : la frustration de nombreux politiques et citoyens vis-à-vis des jedi, déjà abordée plusieurs fois par Ostrander, quand ce n'est pas carrément de la méfiance due au passé jedi du Comte Dooku, le jeu de séduction opéré par Palpatine, la solitude croissante de Bail Organa et Mon Mothma… c'est un récit complexe et dénué de manichéisme, probablement le meilleur jamais écrit par Ostrander.


Il y a quelque chose de presque plus Star Trek que Star Wars, je trouve, dans ce débat intense entre le respect des institutions démocratiques jugées caduques par certains et le besoin de les adapter en temps de guerre, pour le bien des citoyens. Comme dans le tome 3, le parallèle avec l'Amérique post-11 septembre saute aux yeux, mais il est traité avec une grande finesse. Cerise sur le gâteau, le chancelier Finis Valorum fait son retour, lui qui avait été jeté comme un malpropre à la fin de La Menace Fantôme (il faut voir Terence Stamp dézinguer le film à tout va, ça vaut son pesant de cacahuètes) ! Spectateur effaré du pouvoir conféré par le sénat à Palpatine, c'est lui qui pousse Bail Organa à agir. Par une cruelle ironie, son assassinat, et celui de milliers d'innocents, dans l'explosion d'un cargo en plein cœur de Coruscant, est utilisé par le chancelier et ses laquais pour parachever la nouvelle loi de sécurité renforçant l'emprise de Palpatine sur la vie privée des citoyens. Seul Bail s'oppose à ce non-respect flagrant des fondements de la démocratie, dans un discours magnifique mais qui ne lui vaudra dans l'immédiat que les félicitations goguenardes du chancelier triomphant…


Ne nous y trompons cependant pas : l'Alliance rebelle vient de naître. La mort de leur idole Valorum a prouvé à Bail Organa et Mon Mothma la nécessité d'agir contre les ennemis de la démocratie avant que ces derniers ne la musèlent à jamais. Je ne peux lire ce merveilleux comics sans songer à leur jolie scène dans Rogue One, plus de dix ans plus tard…


Haden Blackman et Tomas Giorello reprennent alors la main pour compléter le premier chapitre : Obi-Wan et Alpha s'efforcent de semer les sbires de Ventress, tandis qu'Anakin Skywalker, toujours hanté par ses cauchemars, affrontent les hordes de pirates qui avaient attaqué le vaisseau consulaire d'Organa. Anakin est désormais sous la supervision de Ki-Adi-Mundi, membre du conseil le plus en vue dans les films après Yoda et Mace Windu – difficile de le rater avec sa grande tête pointue, il faut dire ! Mundi est un jedi sage et patient, un vieux de la vieille, dont le détachement se heurte à la passion de son jeune apprenti, qui ne digère toujours pas le trépas d'Obi-Wan. Comme Ventress, Anakin se retrouve encore une fois orphelin, et cette solitude doublée de réticence face aux préceptes de l'ordre donne lieu à un joli échange avec Mundi. Puis leur route finit évidemment par croiser celle d'Obi-Wan et Alpha, les pirates sont repoussés, Anakin redevient l'apprenti de Kenobi, tout est bien qui finit bien. Ce chapitre est également essentiel à l'échelle de la saga : c'est la première fois que l'on voit une amitié franche et désintéressée entre les deux hommes, comme dans La Revanche des Sith. Le cap a définitivement été franchi depuis l'acrimonie de l'Épisode II.


La valse continue, et revoilà Ostrander et Badeaux, pour narrer l'histoire tragique de Rohnar Kim. Ce dernier, dont la coiffure est inspirée par les chanbara japonais, est un chevalier jedi originaire de Naboo et ami de longue date du chancelier Palpatine. Kim et son padawan Tap-Nar-Pal ont la bonne idée (pourquoi personne n'a-t-il songé auparavant ?) de sonder l'affinité avec la Force de tous les sénateurs pour identifier le deuxième seigneur Sith. Évidemment, Palpatine feint d'accepter avant de contacter son associé Tyranus et lui demander d'envoyer toutes les forces droïdes disponibles à l'assaut de la planète Merson où Kim et Pal sont envoyés en mission de routine. Malgré leur résistance héroïque, les deux jedi et toutes leurs troupes clones sont exterminées… parallèlement, des flashbacks sur la jeunesse de Kim font plus que suggérer que Palpatine avait orchestré le meurtre de son père, le précédent sénateur de Naboo. Ce court récit montre bien l'aveuglement des jedi, tant il est vrai que la froideur et la cruauté de Dark Sidious sont proprement inconcevables…


Pour finir, le scénariste Jeremy Barlow s'associe au dessinateur HOON pour nous transporter vers la planète Thustra, où les maîtres jedi Tyr et Tyffix ont été tués par une attaque-kamikaze avec tout leur état-major. Leurs padawans respectifs, Pix et Cal, appellent Coruscant à l'aide car la position de la République est de plus en plus précaire sur ce monde pourtant traditionnellement fidèle au Sénat. Palpatine craint qu'une défection du populaire roi Alaric vers la CSI n'entraîne tous les autres mondes du secteur dans son giron. Maître Yoda, ami de longue date d'Alaric, décide se rendre lui-même sur place pour tenter de convaincre le souverain d'entendre raison. "Les meilleurs lames sont celles qui restent au fourreau" déclare-t-il avec la même sagesse volubile que dans L'Empire contre-attaque.


Yoda comme personnage principal ? Très alléchant, ce concept est ! D'autant que la tâche du petit jedi vert ne sera pas facile : il lui faudra compter sur l'impétuosité de Cal, les manigances du sénateur corrompu Navi et la résolution ferme mais polie d'Alaric, lequel se voit contraint de mettre son ami aux arrêts. La relation entre Yoda et Alaric donne quelques-unes de ses plus belles planches à l'album, notamment lorsque tous deux se retrouvent dans le jardin luxuriant du souverain sephi. Vieillard à la patience toute lincolnienne, Alaric fait office de reflet de Yoda et d'Organa dans le deuxiène chapitre : il croit lui aussi foncièrement en la démocratie et en le bien-être de son peuple, mais contrairement à eux il n'est pas prêt à rester attaché par principe à ce qu'il considère comme une branche pourrie. Les échanges entre lui et Yoda sont un régal d'intelligence et de mélancolies.


Leur idéalisme ne fait hélas cependant pas le poids face à la violence de leurs cadets : manipulés par Navi, les padawans Pix et Cal déclenchent les hostilités contre les troupes sephies. Les clones remportent cette manche, mais Cal est mortellement touché. Le bouillant jeune homme a à peine le temps de maudire le pacifisme du vieux maître avant de s'éteindre dans ses bras… puis Yoda tente une dernière fois de convaincre Alaric de mettre bas les armes. Trop attaché à ses convictions et conscient que sa mort galvanisera son peuple, le vieux roi se sacrifie alors, non sans des adieux très touchants…


Le sénateur Navi est arrêté pour ses crimes, mais le mal est fait : la CSI a envoyé des renforts sur Thustra, appelé à devenir l'énième champ de bataille d'une guerre sans fin qui, en dépit de l'optimisme de Yoda, dévore jusqu'à l'âme de ses combattants les plus nobles…


Ce dernier chapitre est à peine moins passionnant que le deuxième, dont il est le frère jumeau. Esthétiquement parlant, il s'agit aussi du plus ambitieux et du plus unique en son genre de tout Clone Wars. Le trait résolument japanisant de HOON, ses couleurs digitales ultra-vives et réalistes, son usage des collages se prêtent parfaitement au caractère unique et d'influence elfique de l'architecture et des costumes sephis, sans parler de leur physique. Le résultat est plus flashy et plus enfantin que pour ses collègues Duursema, Giorello, Badeaux et Ching, mais personnellement j'adore.


Cette conjugaison quasi-parfaite entre une scénario intelligent et un dessin unique en son genre permet de conclure en beauté un album dont je ne me lasse jamais, exemple ultime du résultat obtenu lorsqu'une franchise fait confiance à ses artistes sous-traitants pour transporter ses concepts encore plus loin, voir même améliorer les erreurs commises dans ses supports principaux. Si La Revanche des Sith est l'un de mes films Star Wars préférés, c'est parce que dans mon esprit, le déchet des deux premiers opus a été largement effacé par les récits censés faire la transition, tels que ces Meilleurs Lames absolument fantastiques de bout en bout.

Szalinowski
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le 21 mai 2019

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