Il y a encore quelques années, une rumeur persistante voulait que Naoki Urasawa refusait de voir ses anciens travaux publiés à l’étranger. Il fallait bien ça pour justifier l’absence des premières séries d’un des auteurs les plus prisés du moment. Alors peut-être a-t-il fini par accepter, peut-être le changement d’éditeur de son co-scénariste a-t-il eu un impact sur la gestion des droits d’exploitation de ses manga, peut-être cette rumeur elle-même était-elle farfelue, toujours est-il qu’après Happy (et en attendant un éventuel Yawara), c’est Master Keaton qui débarque enfin dans nos librairies.

Le héros est un pur produit échappé des années 80, mélange improbable de Rambo, MacGyver, et Indiana Jones, mais avec un physique de comptable japonais. Si son apparence peut nous laisser croire que certaines situations pourraient effectivement lui poser problème, il n’en est rien et nous savons qu’il se sortira toujours de tous les pièges ; au contraire, son physique serait même une arme supplémentaire, puisqu’elle poussera ses adversaires à le sous-estimer. Seules ses relations conflictuelles avec sa femme et sa fille le rendent à peu près humain. Professeur d’archéologie, agent de la Lloyd, et ancien instructeur des SAS, c’est beaucoup pour un seul homme.

Ce côté touche-à-tout du personnage n’a qu’une seule vocation : lui permettre de s’intéresser à n’importe quelle situation – sachant que pour ne rien arranger, il est curieux et altruiste – donc aux auteurs d’écrire sur tous les sujets possibles et imaginables. Parfois, il se limite à un simple rôle de spectateur, mais la plupart du temps, ses multiples talents, son entrainement militaire poussé, et sa grande culture feront que strictement rien ne pourra l’arrêter ; autant dire que ce qui compte, ce sera moins de savoir s’il s’en sortira indemne ou non, mais bien qui il va rencontrer, dans quelles circonstances, et qu’est-ce que cela nous apprend sur notre monde, notre société, notre histoire, et l’homme en général.

Déjà et même si un scénariste supplémentaire est crédité, nous sentons les bases des futurs travaux du duo Naoki Urasawa / Takashi Nagasaki : la place donnée à l’humain, des récits délocalisées aux quatre coins du monde, une trame sérieuse et documentée, mais aussi une légère tendance à tomber dans le drame. Leurs lecteurs habituels ne seront donc pas déçus, même si les auteurs privilégient une succession d’histoires courtes aux propos variés, au détriment de tout fil rouge. Ladite succession ouvre la voie à une diversité qu’il serait impossible d’obtenir avec une série à suivre, même si pour la mettre en place, il a fallu créer un personnage aussi improbable que Taichi Hiraga-Keaton.

Ce que je retiens de Master Keaton, c’est qu’il s’agit d’un bon titre pour qui apprécie Naoki Urasawa : il est prenant, bien écrit, parfois même érudit, et chaque chapitre – puisque la plupart des histoires ne durent que le temps d’un chapitre – se laisse lire avec plaisir. Mais nous restons dans une œuvre de jeunesse, et si j’avais un conseil à donner, ce serait de découvrir l’auteur par ses titres les plus emblématiques – à commencer par Monster et 20th Century Boys – pour ensuite s’intéresser à ses autres séries, et parmi elles un Master Keaton qui n’a strictement rien de honteux, qui résume bien son travail, mais qui manque encore d’ambition et dont le personnage principal est, dans le fond, trop parfait pour qu’il soit possible de s’y attacher outre mesure.

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le 6 déc. 2013

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Ninesisters

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