On avait pourtant lu de nombreux éloges sur cette BD mais le dessin (entre Comics et manga) nous avait jusqu'ici rebuté.
Il aura fallu que Frédéric nous prête son Maus pour qu'on regrette vivement nos hésitations et qu'on achète sans plus tarder cette incontournable BD.
Non seulement on s'habitue très vite au dessin, pourtant bien loin de la ligne claire à laquelle on est habitué, mais on tient là un excellent album.
C'est autobiographique et Art Spiegelman nous raconte son histoire, ou plus exactement celle de son père, juif en Pologne au pire moment et rescapé d'Auschwitz.
Enfin, Art Spiegelman nous raconte aussi son histoire à lui aussi : et c'est même là tout l'intérêt du bouquin, pardon de la BD (ça se lit comme un roman).
Art, le fils, part à la recherche de la mémoire de Vladek, le père.
Le plus vieux et le plus jeune se chamaillent sans cesse et les deux histoires s'entremêlent habilement : les dialogues entre père et fils où le jeune essaie de soutirer la mémoire du vieux et bien sûr les terribles souvenirs du père, broyé par la Grande Histoire, écrasé par le devoir de mémoire, taraudé par la culpabilité des survivants, incapable de «refaire sa vie» comme on dit (comme avec sa nouvelle épouse, la première n'ayant pas survécu à Birkenau à quelques kilomètres d'Auschwitz).
Un peu comme dans le dessin animé de Ari Folman, le dessin semble être là pour à la fois mettre un peu de distance entre nous et d'effroyables événements mais aussi pour nous y attirer avec encore plus de force et conviction.
Bien sûr, tout le monde connait ces terribles moments dont on nous a rebattu les oreilles, les yeux et la conscience.
Mais il n'est jamais inutile de rouvrir les yeux de temps à autre ... et de renouveler la conscience justement.
La vie du père Spiegelman, marchand juif plus vrai qu'une caricature, est décrite sans complaisance. Ses petits trafics pour échapper aux rafles, puis pour survivre dans les camps, ... il n'en est que plus humain dans ce monde qui ne l'était plus. Et au passage, Spiegelman épingle l'anti-sémitisme polonais (heureusement pour nous, le père de Spiegelman n'est pas né en France).
Comme dans Le Pianiste, on approche encore une fois le mystère incompréhensible de ces gens qui n'ont pas fui mais attendu presque patiemment la solution finale, encadrés par leur propre milice.
Déjà reprise dans Fievel, l'allégorie est évidente lorsque les chats nazis traquent les souris juives. Mais si Spiegelman a choisi une souris (Maus en allemand) c'est aussi en hommage à une célèbre Mouse américaine puisque le petit Mickey avait été mis à l'index des nazis.
Et Spiegelman de citer un journal des années 30 :

[...] le plus grand porteur de bactéries du règne animal ne peut être le type animal idéal. Finissons-en avec la tyrannie que les Juifs exercent sur le peuple ! À bas Mickey Mouse ! Portez la croix gammée !

Maus sera récompensée plusieurs fois à Angoulême et Spiegelman recevra le prix Pulitzer en 1992.
Il est grand temps de (re)découvrir cette BD (idéale aussi pour les ados).
BMR
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 BD et Les meilleurs comics

Créée

le 25 mars 2014

Critique lue 570 fois

2 j'aime

BMR

Écrit par

Critique lue 570 fois

2

D'autres avis sur Maus : L'Intégrale

Maus : L'Intégrale
Minizyl
10

Au jeu du chat et de la souris

Il y a ce noir et blanc un peu chargé, et la simplicité du dessin, et ces animaux personnifiés, qui parlent. A priori, pas forcément ce que je préfère dans la BD. Il y a aussi l'histoire de la Shoah,...

le 2 avr. 2011

63 j'aime

4

Maus : L'Intégrale
Odin
4

Désolé mais...

Vaste question que ce Maus... J'ai longtemps hésité avant d'écrire cette critique... D'un coté, Maus délivre un témoignage précieux et original sur l’Holocauste, servi par un point de vue très...

Par

le 22 févr. 2014

56 j'aime

14

Maus : L'Intégrale
spirifer
10

Des Souris et des Sous-Hommes

Art Spiegelman, auteur de BD, veut raconter le parcours de son père, Juif polonais, depuis ses années 30 prospères jusqu'à son retour du camp d'Auschwitz. Il explore le passé de Vladek, dans de long...

le 20 nov. 2013

33 j'aime

22

Du même critique

A War
BMR
8

Quelque chose de pourri dans notre royaume du Danemark.

Encore un film de guerre en Afghanistan ? Bof ... Oui, mais c'est un film danois. Ah ? Oui, un film de Tobias Lindholm. Attends, ça me dit quelque chose ... Ah purée, c'est celui de Hijacking ...

Par

le 5 juin 2016

10 j'aime

2

The Two Faces of January
BMR
4

La femme ou la valise ?

Premier film de Hossein Amini, le scénariste de Drive, The two faces of January, est un polar un peu mollasson qui veut reproduire le charme, le ton, les ambiances, les couleurs, des films noirs...

Par

le 23 juin 2014

10 j'aime

Les bottes suédoises
BMR
6

[...] Je ne suis pas hypocondriaque, mais je préfère être tranquille.

C'est évidemment avec un petit pincement au cœur que l'on ouvre le paquet contenant Les bottes suédoises, dernier roman du regretté Henning Mankell disparu fin 2015. C'est par fidélité au suédois et...

Par

le 10 oct. 2016

9 j'aime

1