Mauvais genre
7.7
Mauvais genre

Roman graphique de Chloé Cruchaudet (2013)

Mauvais genre n’a pas un mauvais fond. Au contraire, c’est une histoire presque hors du commun qui entrelace des sentiments universels. Une passion libertaire dévastatrice, une quête d’identité farouche en fanfreluche, une volonté d’enfouir une culpabilité marquée au fer rouge. Chloé Cruchaudet a un trait fin voire fétichiste, entre cauchemar et réalité, qui guette les mouvements, accordé par un dessin en noir et blanc sauf quand elle compose ses planches avec un rouge vif.

Couleur du sang de la guerre, de la robe de Louise, du haut de Suzanne. La couleur de l’émotion, de la passion, de la fougue qui éclaire les amusements coquins des bois de ces années folles. C’est la première Guerre mondiale, les oiseaux ne chantent plus, fini les danses dans les bals musettes où l’on se trémousse dans les bras de sa douce, on quitte sa belle et ses hanches moelleuses pour se terrer dans les tranchées meurtrières pour servir la patrie. La peur de la mort prend les tripes quitte à faire vriller les esprits. Paul après s’être marié avec Louise, doit partir faire la guerre.

L’Histoire va les séparer, pour après, les réunir d’une étrange façon. Dans la boue jonchée de cadavres, la volonté de Paul de rester en vie prend le pas sur la solidarité. Il quitte le front, et rentre chez lui dans l’anonymat le plus total. Il devient déserteur et donc clandestin d’une Nation pour laquelle il n’a pas su se donner corps et âmes. Cloitré dans une chambre d’hôtel, il tourne en rond, devient la victime d’une solitude claustrophobe. Pour rester incognito, il va se travestir pour prendre l’apparence d’une dénommée Suzanne. Louise et Suzanne vont vivre comme une deuxième naissance, une deuxième chance.

A partir de ce changement de faciès, Chloé Cruchaudet va écrire une étude de caractère fleuve, aussi étonnante qu’émouvante, qui confronte l’intime à la société, la dureté de la normalité aux mœurs frivoles, la légèreté de l’amour à la gravité des conséquences de nos actes, l’insouciance de la vie à la conscience de la mort. Paul et Louise, Louise et Suzanne, Suzanne et Paul, une vie à trois difficile à gérer surtout au moment où les déserteurs seront amnistiés, qui équivaut à un retour à une réalité à la culpabilité presque schizophrène. Un récit triste et meurtrier qui s’écrit sur les traces des affres de l’apparence qui ne permettront jamais de diluer celles de la Guerre et de la déshumanisation.
Velvetman
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le 11 nov. 2014

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