Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre, formant une histoire complète en 24 épisodes, soit 4 tomes. Il comprend les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2016, écrits, dessinés et encrés par Matt Kindt, mis en couleurs par Sharlene Kindt, avec un lettrage réalisé par Marie Enger. La précédente série réalisée par Matt Kindt pour Dark Horse comics était une ambitieuse histoire d'espionnage Mind MGMT Rapport d'opération 1/3 : Guerres psychiques et leurs influences invisibles.


Mia Hardy a revêtu sa combinaison de l'USEAR (Underwater Science Exploration and Research) et elle embarque dans le petit sous-marin de cette fondation, piloté par Q. Le technicien du navire libère le crochet qui maintient le sous-marin, et Q. entame la plongée vers les profondeurs. Quelques jours auparavant Mia étaient dans les locaux de l'USEAR, alors que les informations évoquaient des milliers de réfugiés, ainsi qu'une épidémie constatée en Asie et requalifiée en pandémie. Elle a rendez-vous avec Philip, le président de l'USEAR. Il lui explique qu'il pense que Hari Hardy, le père de Mia, a été assassinée dans la base sous-marine, mais qu'en plus il s'y produit des actes de sabotage. Il compte sur elle pour trouver la taupe et le meurtrier et entreprendre les actions nécessaires. Elle rend ensuite visite à Blake Mortimer, l'associé de son père dans l'entreprise. Il essaye de la dissuader, sans succès, puis lui demande de faire attention à elle. Puis elle passe par le bureau d'Alain, le responsable opérationnel de la base de surface, en particulier des communications. Les souvenirs de sa relation avec lui reviennent brièvement, mais c'est du passé. Il essaye de la dissuader sans grande conviction sur le résultat.


Le sous-marin des profondeurs a descendu les sept miles (un peu plus de 11km), et a rejoint l'énorme base sous-marine. Une fois dans la base, Q. confie Mia Hardy à Lily qui fut une amie d'enfance de Mia. Puis Lily la confie à Aaron, assistant de recherche, et responsable par défaut de la base sous-marine depuis le décès de Hari Hardy. Ils passent devant le laboratoire de Jerome, le spécialiste en biologie en train de disséquer un spécimen de méduse. Il parle tout seul. Enfin, ils arrivent devant Raj Hardy, le grand frère de Mia, Bobo (expert en armes et démolition) et Roger l'associé de Hari Hardy, en fauteuil roulant. Après les avoir salués, Mia Hardy leur demande tout de suite qui accepte de l'accompagner pour se rendre sur le site de la mort de son père. Devant le manque d'enthousiasme, Raj Hardy finit par accepter de l'accompagner. Ils revêtent tous les deux une combinaison de plongée adaptée à la pression des profondeurs. L'eau remplit le sas, la porte s'ouvre et Mia Hardy se retrouve dans l'océan, avec son frère juste derrière elle. Ils arrivent dans le laboratoire de Hari Hardy qui a été envahi par l'eau et Mia détaille tout en enregistrant tous les détails, car elle a une mémoire eidétique qui lui permet de tout retenir. Elle revient ensuite à la base, en se demandant qui a provoqué la brèche dans le laboratoire et qui a tué son père. Forcément une des sept personnes présentes dans la base.


S'il a lu Mind MGMT, le lecteur s'attend à une lecture qui demande du temps de cerveau disponible en sachant que chaque détail compte. À la première approche, cela semble être un peu le cas ici parce que la mémoire de Mia Hardy fonctionne de manière totale, c’est-à-dire que son cerveau enregistre tout même si elle-même n'en a pas forcément conscience. D'un autre côté, l'histoire commence beaucoup plus simplement : un meurtre clairement identifié, une dizaine de personnages présentés au fur et à mesure, et seulement 7 d'entre eux sont des suspects parce qu'ils étaient présents dans la base. Il faut un peu de temps au lecteur pour bien saisir que Hari Hardy (le père) s'était lancé dans l'exploration spatiale puis a changé de domaine, faute de résultats. Une fois cet élément assimilé, l'intrigue se suit facilement. L'arrivée de Mia Hardy dans la base sous-marine semble accélérer les événements, et les accidents se succèdent. Mia Hardy observe ce qui l'entoure dans les différents lieux où elle se rend. Matt Kindt consacre des cases à ces détails, comme s'il s'agissait du regard de Mia Hardy. Par exemple dans le premier épisode, lorsqu'elle se retrouve dans la pièce submergée où son père a trouvé la mort, elle regarde les tubes de médicaments, le tome 8 de son journal, une vis qui dépasse du casque de sa combinaison pour les fortes pressions, un pistolet avec un élastique sur la crosse. Le lecteur retient ces images avec facilité car elles ne sont pas trop nombreuses, tout en sachant qu'il ne dispose pas d'assez d'éléments pour initier un début de théorie sur le meurtre.


Cette accessibilité de l'intrigue n'empêche pas Matt Kindt de se livrer à un jeu plus subtil avec le lecteur. La mémoire eidétique de Mia Hardy fonctionne aussi bien sur ce qu'elle voit, ce qu'elle entend et ce qu'elle ressent. Par exemple quand Mia Hardy se souvient de son frère dans la station spatiale, amer de ces années passées à chercher quelque chose en vain, le lecteur y voit à la fois une dynamique importante de la relation entre le frère et la sœur, mais aussi potentiellement une émotion qui a pu avoir son importance dans la dynamique relationnelle entre les membres de la base sous-marine. Il en va de même de la séquence au cours de laquelle le lecteur découvre comment Roger a perdu ses jambes lors d'une plongée avec Hari Hardy. À nouveau, c'est un élément d'information premier degré sur le personnage, mais aussi une forte émotion avec un impact sur le relationnel entre Roger et Hari. Le lecteur se rend également compte qu'il a accordé de l'attention aux visages et à leur expression. Matt Kindt n'a changé en rien sa manière de dessiner : des contours qui donnent l'impression d'être parfois réalisés au crayon gras, parfois encrés traditionnellement, des formes qui donnent l'impression d'être entre une esquisse et un dessin terminé. Pour celui qui n'est pas familier de cet artiste il faut un petit temps d'adaptation à cette esthétique qui apparaît très spontanée, presque croquée sur le vif.


Cette surface des dessins évoquant parfois des croquis n'empêche pas qu'il s'agit d'une narration visuelle construite et sophistiquée. Effectivement, l'apparence des personnages a été travaillée, et est cohérente d'une page à l'autre. Il suffit de regarder le dessin en pleine page qui clôt le premier épisode pour constater les différences entre les personnages et leur unicité. Le lecteur s'attarde également sur l'expression de leur visage : dur et fermé pour Q., dur mais pas hostile pour Lily, neutre pour Aaron, vaguement soupçonneux pour Bobo, blasé pour Raj, lunaire pour Jerome et plein de volonté pour Roger. Effectivement, il regarde les nuances qui apparaissent sur leur visage lors des discussions, mais aussi de l'action, et leur langage corporel. Il peut voir le résidu de tendresse qui existe encore entre Mia et Alain malgré eux, la tension des membres de la base sous-marine quand Mia revient de sa sortie dans le laboratoire submergé de son père, attendant une observation ou une remarque de sa part, le manque de conviction des autres quand Mia dit qu'elle a besoin d'un volontaire pour aller chercher son frère blessé dans l'océan, les regards soupçonneux de travers de Mia quand un accident survient à la fois inopinément et au mauvais moment. Le lecteur ressent vite qu'il se trouve dans une enquête avec une forte composante émotionnelle et psychologique.


Pour autant, Matt Kindt ne néglige pas le reste de la narration visuelle. Dès la troisième page, le lecteur a un aperçu du submersible pour les grandes profondeurs et l'artiste a conçu une apparence qui fait sens, tout en s'écartant des clichés visuels habituels (ce n'est pas une forme de cigare, ou de tube oblong). Les combinaisons de plongée présentent elles aussi des particularités qui sortent de l'ordinaire et qui font sens, à commencer par leur capacité d'enregistrement. Ce qui n'empêche pas le dessinateur d'utiliser les grosses portes de sas classiques avec le volant pour les fermer. Les sorties en mer sont rendues très agréables par la mise en couleur à l'aquarelle de Sharlene Kindt, et Matt Kindt a pensé à une explication de la manière dont les personnages peuvent voir aussi profond sous l'eau. Le lecteur se laisse vite charmer par la transparence de la méduse que Jerome est en train d'étudier, par la luminescence de l'eau, par le banc de poissons qui évolue dans la fosse marine plus profonde, par la descente dans cette fosse, par la caverne et sa flore, par l'incendie dans la base.


Avec ce premier tome sur 4, l'histoire s'annonce très bien et très vite prenante. Matt Kindt, avec son épouse raconte une enquête sur un meurtre dans un endroit très particulier, une immense base sous-marine en profondeur. Ses dessins toujours aussi particuliers recèlent des nuances qu'on ne soupçonne pas en feuilletant rapidement l'ouvrage. Matt Kindt a passé du temps pour concevoir les environnements, ainsi que les accessoires comme les combinaisons de grand fond. La mise en couleurs en aquarelle apporte une touche d'irréalité associée aux grandes profondeurs. Les interrogations de Mia Hardy ne se font pas que par des entretiens, mais aussi en observant autour d'elle, en faisant appel à sa mémoire quant aux relations que les 7 membres de la base sous-marine entretenaient avec son père, amenant une saveur psychologique sophistiquée.

Presence
9
Écrit par

Créée

le 23 mai 2020

Critique lue 86 fois

Presence

Écrit par

Critique lue 86 fois

Du même critique

La Nuit
Presence
9

Viscéral, expérience de lecture totale

Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, initialement publiée en 1976, après une sérialisation dans le mensuel Rock & Folk. Elle a été entièrement réalisée par Philippe Druillet, scénario,...

le 9 févr. 2019

10 j'aime