Ce récit foisonnant est déstabilisant et réjouissant à la fois. Déstabilisant parce qu'il part un peu dans tous les sens, traverse une certaine quantité de registres, navigue d'un thème à l'autre, surprend par ses choix incongrus et fait un peu grincer des dents par son hétérogénéité graphique. Parce que l'auteure commet quelques doubles pages assez fascinantes qu'elle relie par des cases bâclées qu'elle aurait pu tout aussi bien crabouiller distraitement en causant à sa copine dépressive au téléphone pendant des heures. De la même façon, elle entremêle les niveaux de récits, passant de la chronique quotidienne un peu trash au récit concentrationnaire, en passant par le yellow journalism, les chefs d’œuvre de la peinture ou les couvertures de comics horrifiques américains de la fin des années 60. Le tout au bic. En fait, il y a tout lieu de se réjouir de ce vaste bazar graphique, qui nous plonge dans un univers inédit et aborde quantité de thèmes graves d'une façon relativement enlevée. Pourtant, le fond de commerce est glauque : prostitution, pègre, nazisme, homophobie, racisme, violence, machisme, pédophilie, guerre et cancer... à moment donné, on pourrait croire la coupe pleine, mais les tours de passe-passe de ces pages sont de si haute voltige qu'on boit le calice jusqu'à la lie sans piper. Reste la fin. Je ne saurais trop quoi en dire et, à en juger par le silence suspect de la plupart des critiques, il se pourrait que je ne sois pas la seule à ne pas oser me risquer à une analyse. Il va certainement falloir que je relise ce lourd pavé pour être tentée de croire que j'ai un peu démêlé l'écheveau. Qu'à cela ne tienne, je me suis régalée du début à la dernière page, même si certaines vignettes carrément bâclées m'ont fait réagir... c'était pour mieux m'extasier à la page suivante, alors je passe l'éponge.
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