Je ne me lasserais jamais de découvrir la diversité de la bande dessinée, de ses nombreuses formes à ses différentes expressions. Ni de m’amuser ou frémir devant les déclinaisons modernes, tout en faisant la connaissance d’ouvrages plus anciens.

Mais avec Rodolphe Töpffer mon exploration remonte près de deux cent ans plus loin, pour faire la rencontre de celui qui est considéré comme le précurseur de la bande dessinée.

Bonjour, enchanté.

Bien sur, il y aura toujours des historiens, des experts ou des pinailleurs pour aller chercher plus loin les origines de la bande dessinée, de l’art des grottes préhistoriques aux écrits égyptiens, sans oublier la tapisserie de Bayeux ou l’iconographie médiévale et ses phylactères. La bande dessinée étant un art visuel, l’étude des arts permet de trouver un certain nombre de prémisses.

D’ailleurs, Rodolphe Töpffer n’utilise pas encore de bulles d’expression, le texte reste en dessous, comme le veut une certaine tradition dans l’illustration.

Mais ce qui change dans sa « littérature en estampes », tel qu’il définit son travail, c’est la division de séquences en plusieurs cases verticales, offrant ainsi une lecture qui suit un récit de la gauche vers la droite. L’art séquentiel est là, dans cette construction, pour ce qui n’est pas encore appelé bande dessinée.

La face du monde aurait pu être changée (au moins) car les créations de Rodolphe Töpffer étaient avant tout destinées à son public de jeunes pensionnaires, une institution qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 1846. Mais avec le soutien de quelques amis, le pédagogue suisse décide de faire publier ses créations, qu’il redessine dans un souci de professionnalisme.

Goethe, impressionné, dira de lui en 1831 : « « C'est vraiment trop drôle ! C'est étincelant de verve et d'esprit ! Quelques-unes de ces pages sont incomparables. S'il choisissait, à l'avenir, un sujet un peu moins frivole et devenait encore plus concis, il ferait des choses qui dépasseraient l'imagination ».

En 1833 son premier récit est alors publié, Histoire de Monsieur Jabot, d’autres suivront, régulièrement réédités, diffusés en dehors de la Suisse, parfois contrefaits ou plagiés. Rodolphe Toëpffer est alors célèbre.

Dans ses littératures en estampes, l’artiste suisse se révèle un fin observateur de son temps, qu’il retranscrit avec sa plume ironique. Monsieur Jabot est ainsi un petit bourgeois arriviste, qui tente de se faire bien voir dans une réception huppée. Toëpffer le souligne bien par la répétition d’une phrase, « Monsieur Jabot croit devoir », qui souligne d’un léger sarcasme que ce petit bourgeois croit connaître les codes de la haute bourgeoisie et croit les appliquer. Ce qu’il fait parfois bien, ce qu’il fait parfois mal, le petit homme étant aussi bien maladroit. Les conséquences le réjouissent, lui sommé de répondre à 5 duels d’honneur, quel prestige. Des duels vidés de leur sens que Toëpffer moque. Le satiriste s’amuse ainsi de cette bourgeoisie et de cette aristocratie un peu ridicule, enfermée dans leurs piètres ambitions et leurs rituels.

Mon édition de Monsieur Jabot comprend une autre oeuvre, Histoire d’Albert, qui est l’une des dernières œuvres dessinées du Genevois, elle fut publiée en 1845. Rodolphe Toëpffer, parmi ses nombreuses casquettes, était aussi homme politique et journaliste engagé. Histoire d’Albert lui permet ainsi de se moquer de son adversaire politique, James Fazy, fondateur du Parti radical genevois, homme fort de la vie locale et qui prendra le pouvoir en 1846.

Ne pas avoir suivi la vie politique de la ville suisse de ces années n’est de toute façon aucunement une lacune, puisque cette histoire d’Albert se comprend et se lit très bien sans la référence. Rodolphe Toëpffer propose l’histoire d’un jeune homme qui ne sait pas vraiment ce qu’il veut, qui vivote, hésite avant de se lancer dans la vie d’adulte en s’essayant à tout mais en ne réunissant rien. Albert sera ainsi un poète peu apprécié ou un gestionnaire pitoyable, qu’importe, il rebondit toujours sur une nouvelle situation sans prendre le temps d’approfondir ce qu’il faisait auparavant ou de se poser des questions sur son parcours.

La variété des situations est assez réussie, offrant de nouvelles idées de métiers parfois sots ou plus prestigieux, que de toute façon Albert ne réussira jamais à faire fructifier. Albert sera ainsi extirpeur de cors et de durillons, un métier qu’il abandonnera suite à la mort de tous ses sujets du tétanos, ou vendeur ambulant de La métaphysique pittoresque, qu’il abandonnera suite à une altercation avec un père de famille à qui il voulait vendre le livre à lui et à sa femme.

La prétention et le calme olympien du personnage représentent déjà les axes forts de l’humour de cette bande. Mais la désapprobation de son père, représenté par un coup de pied aux fesses de son fiston, est l’un des fils rouges les plus amusants de ce récit, remplacé ensuite par une case montrant Albert prendre son baluchon et quitter l’endroit où il était. Il démontre aussi que Toëpffer savait jouer sur le rythme de son histoire, avec ces interludes gagesques, pour mieux proposer une nouveau cadre à son personnage.

Bien sur, comparer les illustrations de Toëpffer à celles plus récentes ne serait pas à l’avantage du Genevois, mais il faut lui reconnaître une certaine constance, ses personnages sont reconnaissables. L’artiste semble assez inspiré par le théâtre, avec ses cases en plan, comme des scènes que le spectateur contemplerait amusé. Avec Histoire d’Albert, il se permet des compositions un peu poussées, jouant un peu plus avec la profondeur. Il innove aussi sur le cadrage, comprenant bien l’effet que peuvent avoir plusieurs cases resserrées. Ces planches offrent un rendu évidemment daté, mais dont il serait dommage de s’arrêter dessus. A noter que selon les éditions, ces planches peuvent avoir été coloriées, elles ont été initialement publiées en noir et blanc. Pour cette version en couleurs, elle accentue le côté désuet, avec des teintes dans le ton de l’époque, mais favorisent aussi une meilleur lisibilité.

Certes le visuel date de son temps mais il est indissociable du texte, c’est pourtant bien ce dernier qui permet aux œuvres dessinées de Rodolphe Toëpffer de mériter d’être encore lues, en dehors de son aspect de précurseur, et de la longue liste de successeurs qui viendront compléter la mise en forme de ce nouveau média. Le Suisse a cet humour du XIXe siècle à l’ironie cinglante, démontrant le ridicule de ses contemporains et notamment dans leurs prétentions. Il allie un certain humour fin et pince sans-rire à des situations plus gagesques, pour mieux pouffer de rire. Merci Mr Töpffer.

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le 24 janv. 2023

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