Paroles d'honneur
7.6
Paroles d'honneur

BD franco-belge de Leïla Slimani et Laetitia Coryn (2017)

Ni l'amnésie ni les malentendus coraniques n'ont aidé les femmes marocaines à trouver la liberté d'a

À lire avec des extraits sur : http://branchesculture.com/2017/10/12/paroles-dhonneur-ni-lamnesie-ni-les-malentendus-coraniques-nont-aide-les-femmes-marocaines-a-trouver-la-liberte-daimer/


Au lendemain de la journée internationale des filles, il ne faudrait pas croire que tout a été dit. Rien n'est jamais complètement dit quand il s'agit de parler des inégalités sociales qui divisent les genres et pèsent sur le sexe que certains veulent toujours considérer comme faible en dépit de ses grandes forces. Et quand une plume comme celle de Leïla Slimani est saisie par un thème aussi fort que ce que vivent quotidiennement des milliers de Marocaines qui n'ont pas droit au chapitre dans leur sexualité et sont victimes d'une pression sociale jamais affaiblie, ça prête forcément à réflexion.


Résumé de l'éditeur : RABAT – ÉTÉ 2015 Leïla Slimani fait la connaissance de Nour, une Marocaine qui lui raconte sans tabou sa sexualité et les tragédies intimes que subissent la plupart des femmes qu’elle connaît. Ce témoignage poignant, suivi d’autres rencontres à travers le pays, bouleverse la romancière franco-marocaine qui décide de mettre la parole de ces femmes à l’honneur. À travers leurs histoires personnelles, on découvre le drame de la condition sexuelle féminine au Maroc au sein d’une société hypocrite qui condamne le désir et la liberté d’aimer.


Dans le hall d'hôtel, c'est la fin d'une longue journée de dédicace de Dans le jardin de l'ogre pour Leila Slimani quand une dame arrive un peu à la bourre. Les premières banalités, "j'ai beaucoup aimé votre livre" etc., laissent vite place à une discussion personnalisée entre l"'auteure franche et décomplexée" et cette inconnue, Nour, qui va la faire traverser du jardin de l'ogre à celui des tyrans. Ou quand la vie intime de femmes est soumise à des dogmes traditionalistes qui ont, eux, pignons sur rue et dont il est bien difficile de se dégager malgré toute l'envie de Nour et des autres. "Au Maroc, la femme n'a pas le droit d'avoir de désir. Elle ne choisit pas. (...) Je ne veux pas me marier avec n'importe qui juste pour être normale aux yeux de la société, je veux avoir le droit de choisir."


Il y a Nour comme fil rouge et toutes les autres, tous les autres aussi. Car les hommes, immatures soient-ils, n'ont pas forcément plus le choix. "Même s'ils souffrent eux aussi de cette situation, eux au moins, ils ont un menu et peuvent faire un choix "à la carte" [entre] la vierge, celle qu'ils épousent [et les] pas vierges, celles avec qui ils baisent." Leila va dès lors profiter de ces quelques jours au Maroc pour approfondir le sujet, rencontrer des femmes qui ont envie de vivre leur sexualité, et surtout leur vie, comme bon leur semble malgré tous les revers auxquels elles devront faire face en conséquence.


De rencontre en rencontre, Leïla va au-delà des apparences et sonde le problème en profondeur au fil des interventions d'anonymes et d'experts de premier plan, à la lueur de l'actualité : le drame et la monstruosité d'avoir un enfant hors-mariage encore aujourd'hui, les débats sur l'avortement (et trois articles de loi stupéfiant) alors que 600 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc, le film Much Loved et la polémique qu'il a suscitée parce qu'il montrait la vie de quatre prostituées dignes et émancipées. Sans oublier la petite tenue de Jenifer Lopez lors d'un concert et qui fit passer la chanteuse pour un "suppôt de Satan".


Parole d'honneur, c'est un véritable reportage journalistique avec interview étoffée pour revenir aux sources de l'oppression sexuelle et de l'amnésie. Comme le confiera Nabil Ayouch (le réalisateur de Much Loved) : "On oublie que c'est nous, les Arabes et les Musulmans qui avons choqué l'Occident aux XVème siècle par nos écrits érotiques. On a inventé l'érotologie. Nous sommes devenus amnésiques et le culte de la pureté est une violence. On met la femme sur un piédestal complètement factice en la traitant de bijou qu'il faudrait protéger des regards malveillants des hommes." Il est question, comme souvent (regardez le terrorisme de Daesh et l'endoctrinement qui se fait sur fond d'inculture), d'interprétation. Car, comme le dit une amie de Leïla (cette même amie qui, par son propos, tordra le coup aux clichés et y mettra la nuance) : "la morale est religieuse ou elle n'est pas". C'est pourquoi Leïla ira voir la théologienne, femme extraordinaire de surcroît, Asma Lamrabet qui va voir au-delà du "Dieu vengeur d'une religion punitive", au-delà de la rigueur et plus vers l'émancipation. Et en décortiquant quelques versets (dont le Coran 2:225), nous apprenons qu'il y a un gigantesque malentendu, quelques mots mal traduits (consciemment ou pas, là n'est pas la question) qui ont fait profession de foi d'une société inégalitaire entre les genres.


Bref, c'est toute l'importance du choix des mots et de leur signification qui est en jeu. Quant au choix du dessin, Leïla Slimani ne pouvait trouver meilleure alliée que Laetitia Coryn. Déjà à la manoeuvre de Sex Story, la dessinatrice saisit le sujet à bras-le-corps pour rendre la mise en forme aussi passionnante que l'enquête de la romancière, jouant avec les ambiances (et les couleurs, elles aussi nuancées et douces de Sandra Desmazières), personnalisant les relations et allant chercher les regards, les visages. Un écrin de luxe pour un propos nécessaire et essentiel. Riche.

Créée

le 13 oct. 2017

Critique lue 231 fois

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