Pinocchio
8.1
Pinocchio

Roman graphique de Vincent Paronnaud (Winshluss) (2008)

Pinocchio ou le voyage au bout de l'Enfer

Montant comme une bile rance te chatouillant l'estomac à coup de marteau-pilon, la degueulasserie s'empare de ton être pour ne plus jamais le lâcher. C'est comme ça, y'a beau y faire, se prendre des races nocturnes pour t'entrainer aux jeux olympiques d'hiver de la biture et espérer décrocher l'or la gueule au fond des chiottes ça aide à comprendre le monde paraît-il.


Dans ta vie de soiffard invétéré, t'en as vu de ces saletés. Entre ce pilier de bar à l'odeur de mélasse qu'à jamais vu son gosse à part entre ses poings et la chiure de piaf qu'essaie de prouver qu'il existe en cherchant une quelconque divinité dans le culot de de sa bouteille de sky, on peut dire que t'en connais un rayon sur les affres de la semi-vie.


Et pourtant v'là que tu passes en bibliothèque en recherche d'histoires sur lesquelles repenser pour t'endormir le matin dans tes relents de bibine...et que tu tombes sur Pinocchio. Ça te fait rire. Et pas qu'un peu, toute la salle te mire en chien de faïence, espérant que quelqu'un d'autre qu'eux te dira de la fermer. Finalement tu t'en sort sans qu'un de ces grands zouaves à la moustache peignée vienne te rappeler sa bienséance. Va savoir pourquoi mais t'as emporté Pinocchio avec toi, la nostalgie d'un ailleurs infantile se lovant dans ton crâne, faut croire.


Une fois peinard chez soi et le sofa miteux débarrassé des cadavres de la veille, tu te dis que tu tuerais bien le temps pour ne surtout pas changer. De toute manière quand on a une vie de merde c'est pas une petite histoire qui va te guider vers l'illumination, le Jésus, les chanteurs à La Croix de bois et les vierges/verges du paradis.


Trois quatre pages sont tournées, t'as l'impression d'être comme le petit Grégory tu vois, t'as un peu de mal à respirer sous la flotte te coulant des tempes. T'es en turbo suée à te demander si on t'as pas joué une farce merdique du style à remplacer un gentillet livre de recettes vegan par le dernier sanglier passion, photo d'Hervé 53 ans (autant de poils sous le tarin que sur le dos de la bestiole qu'il vient de zigouiller au calibre .12, le sourire jusqu'aux couilles) à l'appui.


Pourtant Pinocchio tu connais depuis tout marmot. Okay, c'est pas jouasse pour un sou mais là...s'il t'en restais à cracher tu t'en foutrais dans le pull à mamie. Comme une soudaine prise de conscience, comme un électrochoc digne de tes plus grandes surprises anales, la bande dessinée te crame les doigts. Tu dois la terminer, te repaître de sa substance, chialer un bon coup puis recommencer.


Le récit t'emporte alors dans son monde plus sombre que tout autre, te contant les pérégrinations de ce petit bonhomme de ferraille, construit par un Geppetto totalement minable dans le but d'être vendu à l'armée contre un bon pactole. Ce que l'inventeur n'imaginait pas fut que ce gentil robot par ailleurs truffé de gadgets et armes dévastatrices venait d'accueillir un visiteur inopportun : un cafard, écrivain torturé à ses heures perdues. Jimmy qu'il s'appelle. Et v'là que Jimmy s'allume un feu dans Pinocchio. Pas de chance pour ce dernier qui, servant d'objet sexuel à madame Geppetto, lui envoie une déflagration telle qu'elle n'aura pas le luxe de s'en remettre. À Pinocchio de continuer son chemin et de croiser divers sagouins amis ou ennemis. Et chez ces derniers on va trouver du beau monde entre les sept nains sadomasos, un clown sadique, véritable copie d'un célèbre personnage à petite moustache, un inspecteur à face d'île de Pâques au bout du rouleau, et bien davantage (que je laisserais au plaisir de la découverte).


En refermant le livre, plusieurs pensées te viennent inévitablement. C'est l'évidence même d'y voir là un conte philosophique crasseux, reprenant parfois des récits bien connus pour en percer toute la profondeur. Le mal nous habite tous, la folie nous guette non moins, et Pinocchio se retrouve au milieu de cette cohorte sombre sans mentir sur ce qu'il est, lui qui n'est rien après tout. À lui de se trouver une identité dans cette société malsaine où chacun ne se gêne guère pour exprimer ce qu'il a de pire en lui.


Et après l'avoir reposé en bibliothèque, tu ne peux que te rendre à l'évidence que tu as vécu quelque chose. Non pas une belle chose, encore que, les dessins étant absolument sublimes cela se discute, mais quelque chose de vraiment fort. Ta vie ne deviendra peut-être pas un havre de paix suite à cela, tu n'auras pas moins de factures ni perdu l'envie de te mettre minable mais on t'aura offert le présent d'une réflexion intense sur l'Homme, sur ce qui nous compose.


Parfait en tout point.

Fosca
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le 9 févr. 2018

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