[PetitSpoil] Un Quartier pas si lointain...

Nous replonger dans l'époque où nos choix sont déterminants pour le reste de notre vie, au moment où naissent les premiers regrets ou les premier remords de notre vie d'adulte c'est ce que parvient à faire de façon magistrale Jiro Taniguchi dans son œuvre « Quartier Lointain ». L'auteur met en scène Hiroshi Nakahara, un cadre tokyoïte de 48 ans marié et père de famille, en déplacement professionnel : après une réunion un peu trop arrosée, il se trompe de train pour rentrer chez lui et se retrouve en direction de Kurayoshi, le village de son enfance. Il profite de se détour pour aller se recueillir au cimetière du temple Genzen sur la tombe de sa mère, décédée il y a 23 ans. Et c'est là, le temps d'un battements d'aile de papillons que Hiroshi perd connaissance et se réveille peu après au même endroit mais dans le corps de ses 14 ans tout en ayant conservé ses facultés intellectuelles d'adulte. Commence alors le véritable voyage dans le temps, le retour sur les traces de son passé et de son passage. Hiroshi se met très vite en tête de résoudre le départ inexpliqué de son père, le drame familial qui à marqué son enfance, prévu dans 10 mois.

On retrouve le style graphique caractéristique des œuvres de Taniguchi. Ces dessins, réputés pour être aussi expressifs que les dialogues, rendent palpable l'émotion des lieux et des scènes notamment et surtout dans « L'homme qui marche » où les dialogues sont rares. Même si « Quartier Lointain » est un manga, le style de l'auteur se rapproche nettement du dessin occidental dont il revendique d'ailleurs l'influence et notamment celle d'auteurs européens comme Jean-Giraud (Blueberry). Je pense que cette ressemblance a contribué au succès de Taniguchi en Occident. Le dessin, bien qu'en en noir et blanc, n’enlève rien au charme et à l'expressivité des personnages : au contraire, ce choix de trait semblant tracé à l'encre de Chine s'associe bien avec l'ambiance du Japon des années 60.

Hiroshi va mettre du temps à réaliser que tout cela lui arrive vraiment, mais une fois passée sa première nuit chez sa famille réunie au complet et en se réveillant toujours dans l'enveloppe corporelle de ses 14 ans, il sait qu'il est « condamné » à revivre son enfance. Il va alors se laisser aller et savourer le goût des plaisirs simples de la vie qui marquent l'enfance. Ce qui fait la force de l’œuvre, c'est sa capacité à nous emporter et à nous identifier à Hiroshi. Que l'on soit jeune ou vieux, ce manga laisse un sentiment de nostalgie prononcé même si l'on découvre l'histoire pour la première fois, ce qui peut paraître paradoxal. Donnant l'impression que le livre part puiser dans nos propres souvenirs, dans notre propre vécu pour éveiller ce sentiment de nostalgie et de mélancolie.
Taniguchi étant d'origine japonaise et du même âge que Hiroshi au temps où l'histoire se déroule, il retranscrit le plus fidèlement possible les codes et les modes de vie de l'époque qu'il à connus. Les quartiers étaient alors composés de Minka les maisons traditionnelles japonaises qui donnaient directement sur la rue, ou les enfants jouent aux ballon à papiers. La mère était la plupart du temps femme au foyer, le père quant à lui se chargeait de travailler pour nourrir la famille. Les relations formelles et pudiques de l'époque sont représentées avec finesse. La cuisine traditionnelle décrite dans le manga fait elle aussi partie de la volonté de Taniguchi de nous immerger aux mieux dans le contexte de l'époque. Nous proposant alors un véritable voyage.

Hiroshi redécouvre les plaisirs de l'enfance. Il s'extasie de ses performances athlétiques en cours de sport dans son « nouveau » corps, lui qui s'était habitué à son corps de cadre quarantenaire. Il va revivre ses premiers flirts de collégien avec la jolie Tomoko, sa camarade de classe qu'il n'avait jamais osé aborder. Le livre comprend aussi certains scènes humoristiques, notamment celle ou Hiroshi boit quelques verres d'alcool en cachette avec son copain de classe Daisuke, mais son corps jeune et frêle ne résiste pas autant à l'alcool qu'à l'age de 48 ans. Hiroshi semble heureux et épanoui, il sort avec Tomoko, et de par ses facultés intellectuelles d'adulte restées intactes pendant le voyage temporel, il est très brillant en classe. Malgré cette seconde « chance » qui lui est offerte pour revivre sa vie, il ne cessera tout au long de l'histoire de s'interroger en son for intérieur sur ce qu'il est en train de vivre, sur les gens qui l'entourent qu'il à déjà connus par le passé et dont il connaît le destin pour certains. A cette prescience s'ajoute sa perpétuelle inquiétude et son appréhension du départ « programmé »de son père, qui va le ronger tout au long du récit.
« Quartier Lointain » à une réelle dimension philosophique, il part d'un postulat simple et utilisé dans la littérature, celui du retour en arrière temporel mais il y ajoute une certaine sensibilité et une délicatesse qui vont nous emmener en tant que lecteurs à nous interroger intimement sur ce qu'on aurait voulu changer si on avait eu la possibilité de « recommencer », réparer les erreurs que nous n'aurions jamais du commettre, la perte des valeurs que l'on avait lorsque l'on était jeune une fois rentré dans le rang. « Personne ne devient jamais vraiment adulte. L'enfant que nous avons été est toujours là, bien vivant, tout au fond de nous. Il est comme ce ciel. Avec le temps, nous croyons grandir. Mais la maturité n'est qu'un leurre, une entrave à notre âme libre d'enfant. »
Mais ce ne sont justement pas ces erreurs, ces remords, ces regrets qui nous définissent tels que nous sommes dans le présent ? En dépit des efforts de Hiroshi pour corriger les erreurs de son passé, le cours des choses reste finalement inchangé, laissant paraître une certaine fatalité des événements, si une chose arrive c'est qu'elle devait arriver.
Mrlama
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le 4 févr. 2015

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