Ce tome fait suite à Saga tome 3 (épisodes 13 à 18) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre les relations entre les personnages. Il contient les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2014, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés, encrés et mis en couleurs par Fiona Staples, tout à l'infographie. Seul le lettrage a été confié au studio Fonografiks.


Princesse Robot est en train d'accoucher et son fils sort par les voies naturelles. Le médecin annonce qu'il est en parfaite santé, avec le bon nombre de doigts aux mains et pieds. La sage-femme présente le nouveau-né à la mère en l'appelant Prince Robot IV. La princesse la reprend : il n'y a pas de preuve que son mari soit décédé. Le médecin confirme que pour le moment Prince Robot IV est juste porté disparu au combat. La voix d'Hazel reprend la narration pour indiquer qu'il s'agit de l'histoire de deux mondes en guerre depuis toujours : la planète Landfall et la lune Wreath, mais aussi de la planète naine Royaume Robot qui orbite autour des deux autres. Étant d'une taille intermédiaire, le peuple de cette planète a décidé de rejoindre la coalition de Landfall ce qui lui a permis de prospérer, ou du moins ce qui a permis à la classe dirigeante de prospérer, mais pas aux roturiers, confinés à des tâches d'exécution. Hazel se retrouve à jouer sur un château gonflable dans un parc pour enfants, sur la planète Gardiena. Son père Marko la surveille, assis sur un banc. Une jeune femme vient s'asseoir à côté de lui : Ginny. Elle entame la conversation, lui demande d'où il vient, s'il a effectué son service pendant la guerre, le remercie pour son service à la nation. Marko la détrompe, lui apprend qu'il est marié, et lui indique qu'il est temps pour lui d'y aller. Elle lui confie sa carte : elle a remarqué que la fille de Marko est assez remuante, et elle lui propose de l'amener pour prendre un cours dans son studio de dance.


Pendant ce temps-là, Alana est en train de travailler. Elle a réussi à décrocher un boulot pour l'Open Circuit, une série télévisée en direct, où elle interprète le personnage de Zipless, une sorte de superhéroïne masquée se battant contre d'autres individus dotés de superpouvoirs, un mélange de catch et de sitcom. Les téléspectateurs se connectent avec un casque de réalité virtuelle et les acteurs ont l’impression qu'ils sont assis dans la salle en train de les regarder. L'unique téléspectateur intervient pour dire que l'intrigue et le mélodrame sont nuls et ne vont nulle part. Zipless ne se laisse pas faire et lui répond du tac au tac, brisant ainsi le quatrième mur. En sortant de la scène, elle est interpellée par Trix, la productrice, qui lui indique qu'elle est renvoyée. Yuma, la scénographe intervient en faveur d'Alana. À la fin de la discussion, Trix accepte de lui donner une dernière chance. Dans le vaisseau arboricole qui leur sert aussi de demeure, Izabel se plaint à Klara que Friendo (l'animal familier d'Hazel) a encore eu ses règes dans le living-room. Alana rentre à ce moment-là et demande si l'eau chaude a été réparée. La réponse est négative car le plombier demande trois fois le prix de l'estimation, à cause du coût du bois pétrifié. Alana demande ensuite si sa fille au moins est en bonne santé. Klara répond qu'elle dort profondément. Elle passe dans la pièce d'à côté et réprimande Marko pour avoir emmené leur fille dans un endroit aussi public que le parc. Hazel se réveille et court se blottir dans les bras de sa mère.


En repensant à ce qu'il vient de lire en essayant d'en faire un résumé dans sa tête, le lecteur se dit que ce tome joue encore plus que les précédents sur la fibre comédie dramatique, avec une saveur sitcom : accouchement, personnage faisant une mauvaise actrice dans une série télé bon marché (de série Z), jeune père soumis à la tentation de la sympathique professeure de danse, jeune mère coincée dans un boulot alimentaire qui essaye les psychotropes pour supporter un quotidien harassant et abrutissant, animal familier énorme et mal éduqué, et pour ajouter un peu de piment, enlèvement d'un nouveau-né et père sur le chemin de la vengeance sanglante. Le lecteur hésite en télénovela et sitcom produite au kilomètre. D'un autre côté, la narration visuelle continue d'être décapante. Sans sourciller, Fiona Staples commence par un dessin d'enfantement en pleine page : un gros plan sur la tête du nouveau-né sortant du vagin de Princesse Robot IV. On n'avait pas vu ça dans un comics américain depuis Rick Veitch montrant l'accouchement de Liz Moran dans le numéro 9 de la série Miracleman (1986) d'Alan Moore. Le lecteur français n'éprouve aucune difficulté à reconnaître l'image sur l'écran du nouveau-né : une mire de l'ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française). Du point de vue visuel, il n'est pas au bout de ses surprises : le fougueux baiser entre Alana et un acteur à 3 bras, l'apparence de l'animal familier de Hazel, la détente de Robot Prince IV avec 3 femmes qui s'occupent de lui dans une maison close, l'effet psychotrope du produit que prend Alana, Dengo tenant un morceau de colonne vertébrale avec la tête encore attachée à son extrémité, une déesse qui pète une voie lactée, un globe oculaire traversé par une aiguille… Cette série n'a rien d'une sitcom de base, et l'artiste en donne pour son argent au lecteur qui n'est pas près d'oublier la tête du roi robot.


Totalement happé par la vie des personnages, le lecteur retrouve les sensations du quotidien, telles qu'emmener son enfant jouer au parc, ou se poser des questions sur ce que fait son conjoint en son absence, ou encore regagner quelques moments de liberté dans une vie dédiée à s'occuper de sa progéniture ou à gagner l'argent du ménage. Dans le même temps, le scénariste met en scène des thèmes plus sensibles, en arrière-plan. La question de la responsabilité individuelle au sein d'une cellule familiale est abordée à la fois par Marko qui côtoie une charmante jeune femme visiblement attirée par lui, et par la tentation d'Alana de se conformer aux pratiques de ses collègues acteurs, en tournant elle aussi sous l'emprise de stupéfiants. L'interdépendance universelle entre les êtres vivants apparaît à la fois de manière évidente, et de manière plus subtile. Bien évidemment, Hazel est entièrement dépendante de ses parents pour qu'ils subviennent à ses besoins primaires, à commencer par la nourriture et la propreté. De manière plus incidente, Alana et Marko sont dépendants de la bienveillance des personnes qu'ils côtoient pour leur vie quotidienne. Or Yuma, la scénographe, met en premier ses propres besoins (ce qui semble normal), sans hésiter à manipuler les uns et les autres, tout en faisant preuve d'une réelle empathie mais qu'elle met à profit pour mieux les instrumentaliser. Sans dialogues moralisateurs, ni cellules de texte pesante, Brian K. Vaughan met en scène les conséquences des interactions avec Yuma et Ginny, indépendamment des intentions de leur interlocuteur. Le lecteur observe également Klara, la mère de Marko : voilà qu'elle se met à lire un roman de D. Oswald Heist, alors qu'elle l'avait copieusement raillé, car à l'opposé de ses convictions. Il a suffi qu'elle fasse l'expérience qu'il présentait un état émotionnel proche du sien à la suite de la perte d'un être cher, pour qu'elle accepte de tenter de réviser son jugement de valeur. En filigrane, se trouvent deux ou trois remarques plus sociales ou politiques, sur la nécessité d'offrir des divertissements au peuple (la série télé dans laquelle joue Alana), sur les roturiers confinés aux basses besognes dans une société inégalitaire, ainsi que sur le poids psychique que la guerre fait peser même sur des civils très éloignés des champs de bataille.


Tout du long de ces épisodes, Fiona Staples et Brian K. Vaughan mettent en œuvre leurs talents de conteur, comme s'ils n'étaient qu'une seule et même personne. Parfois le lecteur relève un dispositif narratif élégant et visible : se servir du mobile du nouveau-né pour effectuer un rappel sur les planètes Landfall et Robot Kingdom, ainsi que sur la Lune Wreath. Mais le plus souvent, les différentes composantes sont parfaitement intégrées, pour une narration semblant évidente et facile, alors qu'elle révèle de nombreuses saveurs. Lorsque le lecteur découvre Alana dans un costume moulant à talons hauts, il sourit en voyant une parodie de récit de superhéros, un peu moqueuse avec les talons hauts (rédhibitoires pour tout combat physique) et ce gugusse dissymétrique à trois bras (anatomiquement impossible). Il y voit également un commentaire sur le divertissement de masse, sur sa fonction de divertir l'attention des spectateurs, au sens de la détourner de problématiques essentielles. Le scénariste se montre malicieux avec la scène suivante de l'Open Circuit, où une héroïne en costume de gladiatrice se plaint que son salaire soit moitié moindre que celui de Zipless (Alana), mais il s'agit d'une scène de la série, introduisant ainsi un jeu d'effet de miroir. De temps à autre le lecteur est pris par surprise, avec un moment violent pouvant aller jusqu'à la mort, exprimant la force destructrice du conflit intérieur de protagoniste.


Brian K. Vaughan & Fiona Staples entament ce quatrième tome avec une image que le lecteur n'est pas près d'oublier. La narration visuelle de chaque épisode porte la marque d'un grain de folie délicieusement poétique (toujours difficile de se faire à ses têtes en forme d'écran de télé), avec des trouvailles visuelles irrésistibles (la déesse qui pète une galaxie). Dans le fond, il s'agit d'une comédie dramatique classique ; dans la forme c'est un récit mêlant science-fiction & Fantasy, avec de belles aventures. Le tout s'amalgame harmonieusement pour une histoire personnelle, avec des personnages attachants, et une qualité littéraire revêtant les atours d'un divertissement léger.

Presence
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le 4 juil. 2020

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