Sergent Kirk est un album assez particulier pour qui aime Hugo Pratt. En effet, outre le fait qu'il s'agisse de l'un de ses premiers albums en tant que dessinateur, il s'agit également, si je ne me trompe, de sa première oeuvre en tant que dessinateur non assisté, c'est-à-dire ne collaborant avec personne d'autre que son scénariste, en l'occurrence Héctor Oesterheld. Scénario et dessins sont somptueux et l'on voit déjà poindre Corto Maltese derrière certains traits.

Sergent Kirk, parue dans le début des années 50, est plus qu'une BD, c'est un western sur papier, une condensation du cinéma ad hoc des années 40 à 50, tel qu'il commence à vaguement prendre conscience de l'effet des politiques de l'époque sur les populations indiennes. La grande épopée du début du genre est remise en question par quelques réalisateurs, dont certains ne sont pas petits. Sergent Kirk débarque en plein dans ce tournant, au moment où le western crève l'écran et va connaître son âge d'or, du moins celui de sa période classique, avant la déferlante des films italiens qui vont prendre le genre dans l'autre sens même si par bien des aspects, Sergent Kirk semble être prémonitoire de cette période, notamment à travers les premières apparitions d'El Corto.

Kirk, sergent au 7ième de cavalerie, tiraillé entre ses préoccupations morales et son sens du devoir, finit par récuser les logiques colonialistes, foncièrement agressives et mortelles pour les populations indiennes guidant ses supérieurs et déserte, se rangeant aux côtés des indiens... pour un temps. Car tout grand guerrier qu'il soit, Kirk n'est pas un indiens, et ses actes l'ont définitivement détourné de la civilisation dont il était issu, irrémédiablement.

Les aventures de Kirk, courtes, forment une récit long, retraçant plusieurs années de vie, une vie mouvementée par l'expansion irrépressible de la civilisation américaine vers l'intérieur du continent, les luttes entre indiens connus ou inconnus des blancs, les chasseurs d'or, les bandits, les renégats de toutes espèces, les officiers de cavalerie imbus d'eux-mêmes ou parfois plus malins et surtout plus ouverts d'esprits ou le devenant avec le temps. Pareille vie serait insupportable sans Maha, frère de sang, le docteur Forbes et El Corto, bandit repenti, tous trois éternels compagnons d'aventure.

L'Amérique et son expansion continentale en quatre époques (des tomes), vue par un italien et un argentin, le régal, demandant un investissement conséquent, certes, mais un régal quand même.
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le 20 janv. 2012

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