Quand j'ai vu début 2015 qu'un nouveau Corto était sur les rails, j'ai su deux choses. La première, c'est que je n'aimais pas beaucoup ça. La seconde, que mes parents allaient me l'offrir à noël sans que je l'aie demandé.


J'ai découvert Corto Maltese au début de l'adolescence, grâce à mon père qui est un fan et possède toute la collection, et ç'a été comme me découvrir moi-même. Comme beaucoup de gens, je suppose – après tout, la fiction repose sur le principe d'identification – j'ai voulu être lui, être Corto. J'ai toujours été un rêveur fasciné par les aventures, l'exotisme, le lointain et le différent. Mais Corto Maltese m'a en quelque sorte révélé à quel point j'en étais fasciné, de l'ailleurs, et m'a poussé à finalement franchir le pas, pour vivre mes propres aventures.


Sujet sensible donc, que ce ce nouveau Corto Maltese. Pire, même : intouchable.


De plus, il faut le dire, les tentatives de survivances de ce genre sont assez rarement couronnées de succès, à quelques exceptions près. Et même si je me doutais que les éditeurs mettraient la barre haut pour satisfaire les afficionados, je partais sceptique. Ma position là-dessus c'est que déjà, une histoire, ça vit et ça crève, enfin ça n'est pas figé. Notre réception change. Et les vieilles histoires qui ne veulent pas crever vieillissent en général d'autant plus mal. En fait, j'ai beau être maladivement attaché à Corto Maltese, je le voyais très mal survivre à Pratt et je ne le pensais pas souhaitable. Après tout, un auteur c'est une « patte ». ça peut paraître paradoxal de dire « une histoire n'est pas figée » et de refuser justement de voir quelqu'un d'autre reprendre le personnage pour continuer la série. Certes.


Enfin bon. Puisque de toutes façons je n'y couperais pas, j'ai décidé de lui laisser sa chance. Là-dessus, crac ! Je le déballe sans surprise à noël et je n'en fais qu'une bouchée. J'ai bien dû me rendre à l'évidence, passé les premiers effets de décalage j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette nouvelle aventure.


Au premier coup d'oeil on ne peut que constater la fidélité du dessinateur Ruben Pellejero au style graphique de Pratt. Ensuite j'ai été particulièrement satisfait de retrouver, dans le dessin comme dans le scénario le plus important : le ton. La mélancolie d'une contemplation. Le monde vire tantôt au sublime, dans la blancheur de la banquise ou le dépouillement de l'automne canadien, tantôt au spectacle grotesque des conflits des hommes, l'absurdité lointaine de la plus mortelle guerre de l'histoire ou celle plus intimiste d'un révolutionnaire inuit qui fait régner la terreur. On retrouve aussi dans l'histoire écrite par le scénariste de Blacksad cette morale originale de Pratt ; les bons comme les mauvais meurent tandis que d'autres vivent encore un peu, sans que quiconque à part les dieux ou les magiciens aient la signification de tout ça. Une mystique de la connaissance.


On retrouve ensuite ce goût que Pratt avait pour les histoires insensées, les décalages des personnages et des situations, les anachronismes aussi. C'est le cas avec cet ogre inuit qui s'inspire de Robespierre. On retrouve également une galerie de personnages qui lui étaient chers, ces révolutionnaires irlandais inflexibles, bien que dans le fond débonnaires, les indigènes cultivés qui battent en brèches les thèses racistes, et dont les pratiques religieuses semblent toujours investies de la poésie de la nature, d'une vérité bien plus grande que celle véhiculée par la modernité. Et une nostalgie lancinante, un goût pour l'inachevé, une esthétique de l'échec, un brin chevaleresque, puisque chez Pratt la quête en elle-même importe plus que son objet. La poétique de Corto Maltese ce serait : les choses qui auraient du se passer ainsi mais ne se passèrent pas comme ça.


J'ai parlé de la fidélité au dessin. Au ton. À l'« esprit ». On pourrait le dire autrement : La fidélité à l'idée qu'on se fait de Corto Maltese. Et c'est comme ça pour tout, le dessin, l'histoire et la manière d'écrire les dialogues. J'aurais aimé qu'on s'arrête avant qu'au fond Corto ne soit catalogué, que ses aventures ne deviennent pas un schéma théorisé qu'il suffirait d'appliquer pour qu'il fonctionne. Hugo Pratt n'a jamais écrit comme ça, surtout les Corto. Il l'a toujours fait avec fantaisie et du coup, avec un succès inégal (si-si). C'est pour ça que rien ne pouvait lui survivre et que ça n'était tout simplement pas nécessaire.


Pour autant, je reconnais que Ruben Pellejero et Juan Diaz Canales vont plus loin. Il font aussi un «  par dessus du « pratt » ». Mais bon, de toutes façons ils partaient perdants. Alors au comble de la mauvaise foi, ça ne m'empêchera pas de critiquer cet album de toutes manières. Je salue leur travail très réussi, mais malgré tout le bien que l'on peut en dire, ça n'est pas Corto Maltese.

Créée

le 10 févr. 2018

Critique lue 219 fois

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