Au vu de la réputation de ce crossover interne aux séries Spider-Man de l'époque, on est en droit de l'approcher à reculons. "Maximum Carnage" suscite en général le désaveu de la part des fans de Spidey, qui le tiennent pour être, au choix, laid, trop long, stupide, répétitif ou encore gratuitement violent. Et même avec la meilleure volonté du monde, difficile de nier qu'il est tout cela à la fois.


Pourtant une lecture rétrospective et dénuée d'illusions préalables permet de relever certaines qualités. La principale, et non des moindres, étant de présenter deux familles dysfonctionnelles mises en miroir : la famille Parker d'un côté, rongée par l'incompréhension au sein du couple Peter / Mary Jane, séparés car incapables l'un comme l'autre de s'accorder sur la place de l'alter-ego Spider-Man dans leur vie. C'est bien sûr une variation sur l'éternel ressort dramatique conjugal du mari qui accorde trop d'importance à son boulot et de l'épouse qui passe son temps à l'attendre. La cohérence de ce noyau gâté est encore complexifiée par la réapparition des soi-disant parents de Peter, fraîchement revenus des prisons soviétiques, et la mort récente d'Harry Osborn, l'éternel troisième larron délaissé du couple Peter / MJ. Seule l'éternelle tante May apparaît, comme toujours, comme le point d'ancrage insubmersible de tous ces personnages.


En face on trouve la "famille" de Carnage, super-vilain dérivé de Venom apparu quelques mois plus tôt dans un arc d'Amazing Spider-Man. J'ai toujours eu une affection particulière pour ce vilain dont la seule occupation est de tuer le maximum de personnes. Un psychopathe dans la plus pure acception du terme que j'ai découvert dans les pages du très bon "Batman / Spider-Man". Évidemment ce type de vilain est un pur produit des comics 90's, et répond à l'époque à la mode contestable de rendre les comics plus "adultes" en prenant les lecteurs pour des assoiffés de violence gratuite et de boobs, c'est-à-dire en les infantilisant.


Bref Carnage s'évade de l'asile de Ravencroft (décalque tardif de l'asile d'Arkham de Batman dans l'univers de Spidey) et emporte avec lui Shriek, super vilaine tout aussi dingue. Un peu par hasard se joignent à eux le doppelgänger extraterrestre de Spider-Man et Demogoblin (la Bouffon Noir en VF), quatuor qui va donc constituer une famille chamailleuse mais qui s'accorde sur le plaisir simple de massacrer des innocents.


Pour contrer cela, Spidey se compose lui-même sa petite équipe, composée dans un premier temps de la Cape et de l'Epée et de la Chatte Noire, puis de Venom et de Morbius, avant que Captain America, Iron Fist, Deathlock et Firestar (des New Warriors) ne complètent le casting.


Le conflit de méthode entre Spider-Man et Venom va vite devenir le moteur narratif principal : Venom prône l'action directe et la destruction de Carnage, tandis que Spidey tergiverse et cherche un moyen de ne pas tuer ses ennemis, entraînant par là la mort de nombreux innocents.


Pendant ce temps-là le cercle proche de Peter Parker se barricade, et espère le retour de ce dernier.


La dynamique entre les trois cercles familiaux (de Spidey, de Carnage et de Peter) est donc intéressante et constitue le cœur du récit. Un récit malheureusement bien trop long et répétitif, car obéissant à un schéma invariable : les méchants sèment le chaos, sont rattrapés par les gentils, BAGARRE sans vainqueur, puis les méchants s'enfuient, sèment le chaos, sont rattrapés, BAGARRE, etc... avec quelques variations dans les événements. S'ensuit un récit au rythme bien trop effréné pour ne pas lasser : 14 épisodes d'action quasiment non-stop, c'est beaucoup trop.


Maximum Carnage ne manque pourtant pas de beaux moments : tout ce qui concerne Cloak & Dagger, avec des apparitions superbes de cette dernière, l'arrivée iconique de Captain America qui fait basculer le récit au moment le plus désespéré, la conversation entre Peter et son "père", qui fait écho à la relation entre Carnage et son "père" Venom (la famille, toujours...), ou encore certaines planches mémorables (la première notamment, présentant Kasidy / Carnage en plein transfert à l'asile).


Pour autant les dessins alternent entre le correct et le très laid, la profusion de scènes de bataille impliquant une dizaine de personnages à la fois n'aidant évidemment pas. Sal Buscema cochonne franchement sa prestation par moments, Ron Lim fait du Ron Lim, Bagley n'est pas au top de sa forme, et quant à Lyle et Saviuk, ils sont uniformément mauvais.


Côté écriture, outre la redondance de l'ensemble, certains artifices font plus que tiquer (le pouvoir de l'amour et de l'amitié pour vaincre la horde de psychopates en furie, moui), et certains raccourcis nous rappellent que les comics sont souvent écrits par de vieux monsieurs (le heavy-metal c'est démoniaque, ben oui). Certains personnages ne servent à rien de plus qu'à être là (Morbius par exemple), à tel point que la plupart du temps, ils se rencontrent simplement par hasard.


Mais le conflit présenté entre la droiture de Spidey et les impératifs d'une situation de crise extrême, autant super-héroïque que personnelle, la réflexion sous-jacente sur le rôle de modèle moral (Cap est un modèle pour Spidey, qui est lui-même un modèle pour Firestar : doit-elle le suivre lorsqu'il s'écarte de ses préceptes en se rapprochant de ceux de Venom ?), ainsi que l'écriture de certains personnages (la Chatte Noire fait vraiment mal au cœur par moments) et la bizarrerie quasi-muette d'autres (Carrion et Deathlock notamment) compensent quelque peu les nombreux défauts du crossover.


Plus court, plus resserré, plus travaillé, Maximum Carnage aurait pu prétendre à une plus grande considération. En l'état il constitue une lecture quelque peu indigeste, qui exige du lecteur une certaine indulgence pour en retirer les bons éléments.Pour ma part, j'y retrouve une texture particulière dans l'écriture, dans les dessins, qui est celle avec laquelle j'ai découvert Spider-Man et les comics. Et si je n'avais rien lu cette histoire à l'époque de sa parution, j'ai malgré tout pu me replonger dans une époque tout à fait particulière de la vie du Tisseur, arbitrairement considérée comme la plus honteuse, mais qui n'est pourtant pas dénuée d'intérêt.

Seet
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le 27 janv. 2016

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