Ce tome fait suite à Seven to Eternity, Tome 2 : Un vent de trahison (épisodes 5 à 9) qu'il faut avoir lu avant. Il faut impérativement avoir commencé par le premier tome. Il comprend les épisodes 10 à 13, initialement parus en 2018/2019, écrits par Rick Remender, dessinés et encrés par Jeorme Opeña et mis en couleurs par Matt Hollingsworth. Il s'agit de l'avant dernier tome de la série.


Dans son journal, Adam Osidis évoque les Marais de la Mousse, et le mois qu'il a passé à progresser difficilement avec Garil Sulms. Les marais lui donnaient l'impression d'émettre un poison insidieux, corrompant son âme. Il se souvient aussi de la manière dont son père l'a regardé pour la dernière fois avant de mourir, et du jugement qu'il a lu dans ses yeux. Il se dit que Garils Sulms doit penser que lui, Garils, a sauvé Adam Osidis du zèle fanatique de son père Zebadiah Osidis. Finalement le géant des marais les dépose à proximité de la terre ferme de la côte. Dans son for intérieur, le flux de pensée d'Adam l'amène à considérer que son ennemi n'a pas forcément tort en tout, que lui-même Adam a pu se tromper sur certains points, que Garils a peut-être fait les compromis les moins pires avec les moyens dont il disposait. C'est facile d'haïr l'idée que l'on se fait d'un individu, mais quand on passe du temps avec lui, on finit par y trouver quelque chose que l'on apprécie. Il se met à discuter avec Garils Sulm, à lui poser une question sur White Lady. Sulm lui indique que le pouvoir de cette dernière provenait du Puits noir lui-même. Cela fait dire à Adam que rien n'est jamais comme le montrent les apparences.


Garils Sulm répond que cela demande des efforts pour distinguer la vérité. Par exemple leur collaboration même aurait semblé contre nature au père d'Adam. Il explique que les idées progressistes naissent souvent de bonnes intentions au sein des élites, mais que des idées trop compliquées déroutent l'homme de la rue. Cette confusion entraîne le discrédit de ces idées : il faut des principes simples, car si c'est simple c'est que ça doit être vrai. Il pense qu'il a fait les bons choix pour diriger le monde Zahl, pour le mener dans la bonne direction. Adam Osiris et Garils Sulm découvrent les restes d'une carriole dont les gardes ont été massacrés. Sulm en déduit immédiatement qu'ils ont été attaqués par une escouade de Volmer, le roi des chapardeurs. Alors qu'Adam Osiris propose d'utiliser la lanterne de White Lady pour savoir ce qui s'est passé, il se fait rabrouer par Garils Sulm, et ils se font attaquer par l'escouade qui est de retour. L'escouade réussit à estourbir Garils Sulm et à l'emmener dans le royaume volant de Skod, où règne Vommer, l'un des fils de Sulm. Pendant ce temps-là, Katie Osidis continue de suivre les traces de son père, à la tête du groupe composé de Spiritbox, Jevalia, Dragan et sa grenouille Kisop, et Goblin.


Le lecteur est ressorti pas entièrement convaincu du premier tome, déjà un peu plus du deuxième, ayant capté que l'intérêt majeur du récit réside dans le voyage d'Adam Osiris qui provoque une évolution de son développement personnel. Il est satisfait de constater que Jerome Opeña assure les dessins des 4 épisodes, mais il se rend compte qu'il revient avant tout pour le cheminement d'Adam vers d'autres façons de penser. De ce point de vue, la séquence d'ouverture est parfaite. La page de texte extraite du journal d'Adam Osiris permet d'établir son état d'esprit, d'accéder à son flux de pensées. Le lecteur se souvient qu'Adam a été élevé par un père intransigeant, campant sur ses principes, refusant toute forme de compromission, manifestant une forme d'extrémisme à ne jamais trahir ses principes moraux. Le fait de côtoyer Garils Sulm a pour effet de faire comprendre en partie son raisonnement à Adam Osiris, de lui faire voir son point de vue même s'il ne le partage pas, de montrer que cet individu n'est pas le mal incarné et qu'il a des bons côtés. Garils Sulm est passé de l'état de croquemitaine incarnant le mal absolu, à un être humain qui gagne en complexité au fur et à mesure qu'Adam apprend à le connaître. Rick Remender aborde ainsi différentes questions morales, découlant de la situation dans laquelle se trouve le personnage principal. Qui peut prétendre détenir toute la vérité ? Ou même quel groupe d'individus peut avoir cette prétention ? Un criminel peut-il être défendu par celui dont il a tué le père ? L'isolationnisme est-il la défense contre tout ce qui remet en cause les principes d'un individu ? A-t-on besoin d'un témoin pour exister ? Le fils peut-il jamais se libérer du regard de son père ? Une vie de paix fait-elle oublier les efforts de la lutte ? Comment rester soi-même face à l'altérité des autres ?


Il se produit un phénomène étrange dans l'esprit du lecteur. S'il prend juste un instant de recul, il se rend compte que les réflexions d'Adam Osidis appartiennent surtout au registre du bon sens, voire constituent autant de truismes. Tout est toujours plus compliqué qu'il n'y paraît : non, ce n'est vraiment pas une nouveauté. Pourtant à chaque fois qu'Adam Osidis est amené à faire un tel constat dans son esprit, le lecteur voit qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, que ce bon sens remet en question les convictions les plus profondes du personnage. Cela remet en question sa conviction d'être un héros, ses certitudes, son besoin d'absolu. L'obligation de compromis pour pouvoir vivre dans le monde réel l'oblige à reconsidérer les propres convictions de son père, homme qui a forcément été un modèle pour lui. Non seulement, les ennemis ne sont pas d'une pièce, taillés dans le Mal absolu, mais en plus le pragmatisme doit prévaloir si la vie doit continuer. Garils Sulm a vraisemblablement fait du mieux qu'il pouvait avec ce qu'il avait. Son fils Volmer a raison de lui en vouloir, et pire encore la situation de Volmer est quasiment identique à celle de Zebadiah Osidis, en termes d'isolationnisme. Pire encore, Adam Osidis se retrouve à commettre des actes bien pires que ces ennemis en détruisant toute une cité et ses habitants, en défendant Garils Sulm de son plein gré. Dans la même séquence, Volmer explique qu'il ne fait que défendre son peuple, démarche identique à celle d'Adam Osidis.


Le lecteur se retrouve complètement absorbé par le cheminement personnel d'Adam Osidis qui s'apparente de plus en plus à des étapes dans une révélation transformative. Il se rend compte que dans le même temps, la narration visuelle raconte l'histoire de manière riche et spectaculaire. Alors que dans les tomes précédents, le lecteur pouvait trouver que Jerome Opeña était parfois un peu court pour donner une cohérence suffisante à un même décor d'une case à l'autre, ici les dessins portent l'histoire pendant que le flux de pensée et les dialogues évoquent sa fibre existentielle. Le lecteur retrouve toute la puissance évocatrice des images : la luxuriance du marais, le géant de mousse et la délicatesse irréelle de la bulle dans laquelle il transporte Garils Sulm & Adam Osiris, le spectacle inouï de la cité flottant dans le ciel, la misère bien visible de la ferme des Osidis, la geôle dépouillée sur Skod, les aéronefs incroyables, l'énergie magique de la Librairie. À nouveau Matt Hollingsworth effectue un travail créatif extraordinaire de mise en couleurs, pour compléter les dessins sans écraser les contours tracés à l'encre, pour nourrir les fonds de case quand Opeña profite d'un ciel ouvert en arrière-plan. L'artiste prend également beaucoup de plaisir à représenter les personnages, à leur donner une identité visuelle propre. Le lecteur se sent emporté dans ce monde de Fantasy, avec des créatures bizarres qu'il a l'impression de pouvoir toucher, dans des environnements originaux et merveilleux.


Non seulement, ce récit constitue une réflexion malicieuse sur la notion de héros et sur la nécessité du compromis, aussi sur son sens, mais en plus il raconte une vraie histoire originale. Le fond du problème reste le même : le monde de Zahl a été soumis à un dictateur employant des méthodes expéditives et parfois peu respectueuses des droits de l'homme. Pour sauver ce monde de son emprise, il faut le conduire à une sorcière qui pourra défaire la connexion qu'il entretient avec ses sujets, et ainsi pourvoir l'exécuter sans causer leur mort. Mais voilà : d'autres souhaitent l'exécuter sans avoir à attendre, ou bien passer un marché avec lui pour assurer leur survie. Adam Osidis n'a d'autre choix que de protéger le tyran, mais le comportement de ce dernier n'est pas cohérent : il ne cherche pas à s'échapper quand il en a la possibilité. Adam Osidis n'a d'autres choix que d'aller de l'avant et d'utiliser tous les moyens possibles pour arriver à ses fins. Ce n'est jamais bon signe quand un héros estime que la fin justifie les moyens et se met à tuer des dizaines d'individus, avec l'espoir que cela permettra d'en sauver des dizaines de milliers. Le lecteur comprend pourquoi Garils Sulm porte le titre de roi de la fange, parce qu'il traîne dans la boue ceux qui le côtoient. Jusqu'où Adam Osidis sacrifiera-t-il ses idéaux pour mener à bien sa mission, et sauver sa peau par la même occasion ? Décidément ce n'est pas le comportement d'un héros.


Alors qu'il n'était pas forcément convaincu par les 2 premiers tomes (narration visuelle pas toujours assez consistante, parcours du héros trop classique), le lecteur voit les différentes composantes du récit s'entremêler pour former un tout harmonieux et très riche. La narration visuelle le transporte dans un ailleurs consistant et dépaysant. L'intrigue pousse le personnage principal dans ses retranchements, jusqu'à ce qu'il renonce à ses convictions les plus profondes, dans des scènes d'action spectaculaires. Le parcours du héros constitue une réflexion pénétrante et malicieuse sur la nature de l'héroïsme et sur les questions de principe, sur la compatibilité entre être un héros et être un individu dans une société.

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le 2 févr. 2020

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