Touiller le miso
7.1
Touiller le miso

BD (divers) de Florent Chavouet (2020)

À la recherche des morceaux de navet

C'est le haïku de 4e de couverture qui résume à lui seul le projet de dessin, d’écriture et de lecture, ou en tous cas l’ambition générale du livre de Florent Chavouet :



« Touiller le Miso
Revoir les morceaux de navet
Boire tout le bol »



L’exercice du haïku auquel s’astreint régulièrement l’auteur au fil des pages n’est pas une simple contrainte de style qui relèverait du caprice esthétique ou d’un essai d’acculturation du lectorat par cette forme littéraire à une ambiance japonisante. Ou du moins cela va au-delà ; le haïku, dans sa forme même, suggère la brièveté et la concentration des informations en quelques mots. Il s’agit à la fois de décrire, de faire voir donc, et de faire saisir une sensation. La dimension brute du haïku est ainsi en même temps une vérité et un leurre : en livrant presque d’un seul coup tout son suc (« tout le bol »), il projette en fait une kyrielle de fragments (les « morceaux de navet »). La relation entre le livre et le haïku, dans leurs formes, relève de la synecdoque ou de l'homothétie.


Il est difficile de véritablement saisir toute la beauté de Touiller le Miso sans l’avoir lu (ou plutôt parcouru, car il s’agit moins de lecture que de déplacement, tant la façon classique de lire est rapidement battue en brèche). La douceur des pages et des images, la simplicité visuelle associée à une richesse de détails et de couleurs, les ambiances pastel sur des objets aussi triviaux que des canettes, des babioles de décorations des Kaku Uchi, des logos, des épluchures, etc. produisent une forme de persistance rétinienne : sortant du livre on voit notre environnement immédiat à travers le prisme crayonné de Florent Chavouet.


L’association des haïkus aux images, si elle guide et restreint potentiellement la portée imaginaire du hors-champ propre à une forme aussi succincte, donne une attache très concrète au voyage de l’auteur. Elle nous permet presque de marcher à ses côtés dans les rues et les quartiers (à l’aide des plans colorés qui chapitrent l’ouvrage), atomisés au sein du livre. Cette déambulation ne s’affranchit pas complètement de la narration, il ne s’agit pas d’une divagation onirique : on est toujours précisément situé par les lieux, par les contexte, les personnages, le récit culturel et anecdotique. On pourrait parler d’une semi-narration, d’un récit émaillé de pauses poétiques, comme autant d’escales reposantes lors d’un voyage.


Les haïkus font sourire : certains sont tout à fait sérieux, d’autres légèrement déposés par l’auteur qui intervient au sein de son récit. La force des haïkus réside dans cette immédiateté du sens qui flatte le lecteur sans jamais le mépriser, et transformant pourtant parfois les choses les plus prosaïques (une voiture, un panneau, un billet d’avion) en des objets dignes de l’attention du dessinateur comme du poète.


Il serait tentant de restituer ici quelques une de ces phrases poétiques qui jalonnent l’ouvrage, mais ce serait en subvertir la portée réelle, qui s’apprécie avec le livre à la main ; un livre qui du même élan s’offre à la vue et se dérobe tout de même à une saisie simpliste. Un objet qui se referme parfois, abrite des dédales, et qu’on apprend à manipuler dans la mesure où, à l’instar par exemple de L’Emploi du temps de Michel Butor, il n’y a nul fléchage narratif qui permette une progression linéaire : les pages renouvellent sans cesse le cadre, le contexte spatio-temporel, le sens même du voyage. Mais à la différence de Butor, Chavouet ne cherche pas à nous désorienter : il nous partage ses vues et le sens qu’il leur a données.

Menqet
9
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le 17 janv. 2021

Critique lue 370 fois

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