Avec Tout ce qui reste de nous, l’américaine Rosemary Valero-O’Connell propose un album composé de trois récits indépendants. Ceux-ci lui permettent de mettre en images des thèmes de speculative fiction qui montrent diverses situations de futur hypothétique, suivant quelques axes qui incitent à la réflexion.


C’est assez difficile à décrire, car ces récits nous emmènent dans des situations souvent assez nébuleuses, où il est impossible de tout comprendre. Autant dire que la part d’interprétation peut beaucoup jouer d’un lecteur (une lectrice) à l’autre, suivant qu’on entre plus ou moins bien dans chaque récit. Les thèmes que la dessinatrice explore sont les univers parallèles (premier récit), l’énergie nécessaire à l’exploration de l’espace (deuxième récit) et les conséquences de l’exploration spatiale (et là, j’interprète pour le dernier récit, aux intentions les plus floues, avec une situation de base difficile à classer : fantastique ou SF ?)


Une ambiance SF qui sert surtout de prétexte


Puisque l’album ne m’a pas vraiment convaincu, faisons un petit inventaire des raisons. D’abord, ces récits sont indépendants, ce qui fait que la dessinatrice ne creuse aucun des thèmes qu’elle aborde, alors qu’ils mériteraient une exploration en profondeur. À vrai dire, j’ai l’impression qu’elle est plus intéressée par ce qu’elle peut en faire graphiquement (avec un texte à tendance poétique), que par la profondeur de la réflexion. Ainsi, ses personnages sont peu fouillés psychologiquement (surtout par rapport à la précision du trait). J’ajoute que l’aspect scientifique n’est pas tellement convaincant, en particulier sur la deuxième histoire. En effet, pour explorer les confins de l’univers, les distances à parcourir sont telles que l’énergie nécessaire est forcément plus importante que ce qu’elle imagine. Sans compter qu’ici, il n’est jamais question de la vitesse nécessaire à atteindre, qui constitue toujours le principal obstacle à dépasser (à moins bien sûr qu’on finisse par contourner cette difficulté par des passages encore hypothétiques, grâce par exemple à la courbure de l’espace évoquée par les chercheurs, qui considèrent qu’on ne peut pas décrire notre univers avec seulement trois dimensions). Enfin, la dessinatrice agrémente ses illustrations d’un gris clair et d’un rose bien pâle (pour ne pas dire fade), qui donnent l’impression qu’elle ne met de la couleur qu’à contrecœur.


Tout ce qui séduit


À côté de cela, le dessin de Rosemary Valero-O’Connell est très séduisant. Au moins, en voilà une qui sait dessiner. Mieux, elle se révèle particulièrement douée. On pourra l’opposer à tous ces dessinateurs (dessinatrices) qui font de la BD parce qu’ils ont des idées, mais qui dessinent à la va-vite, parfois sans l’ombre d’une connaissance technique (ou très primaires). Dans le cas de Rosemary Valero-O’Connell, son don va jusqu’à la conception d’une BD, car elle se montre particulièrement inspirée pour l’organisation de ses planches (taille et forme des vignettes, sens de lecture, et j’en passe). Les fantaisies qu’elle se permet sont époustouflantes et culminent à mon avis sur un certain nombre de dessins occupant une double page et où elle s’exprime pleinement. Le souci, toujours à mon avis, c’est qu’elle est peut-être un peu trop douée dans ce domaine, ce qui fait qu’elle a tendance à négliger le reste, sans doute en considérant que cela passera. Son style se caractérise par une dominante d’arrondis dans les traits et elle dessine essentiellement des personnages féminins, aux physiques séduisants. Enfin, l’omniprésence de son rose pâle renforce une impression de sentimentalisme outrancier. Malgré l’importance des thèmes traités, rien ne semble jamais vraiment grave. L’album dégage une impression de légèreté, un peu comme une bulle de savon aux irisations chatoyantes, mais qui ne peut qu’éclater prochainement et qu’on aura bien vite oubliée malgré quelques belles impressions produites.


Une réflexion à développer


Pour conclure, revenons au tout début, avec l’illustration de couverture. Un dessin séduisant qui met en évidence le talent de la dessinatrice, mais avec des couleurs dont on ne trouve jamais l’équivalent à l’intérieur de l’album où elles sont bien pâles. Sur cette couverture, on remarque que le nom de la dessinatrice présente une petite perturbation qui indique bien que ce qui reste (restera) de nous risque d’être perçu de façon déformée. Même si c’est évoqué au passage, on peut regretter que le thème de la consommation outrancière des ressources naturelles de la Terre ne soit pas franchement le pivot de la troisième histoire, alors tout cela peut conduire l’humanité à sa perte. Avec un tel titre, on pouvait espérer une vraie réflexion sur le temps qui passe. Réflexions personnelles au passage : que restera-t-il de nous dans quelques siècles, à part des noms sur des registres ? D’ailleurs, dans ce futur, le livre papier existera-t-il toujours ? Lira-t-on encore de la bande dessinée ?


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 27 janv. 2021

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