Un peu plus de deux ans après la parution du tome 4 de L’Arabe du futur, les fans retrouvent enfin le jeune Riad Sattouf et sa famille, qu’on avait abandonnée en plein drame : l’enlèvement, par le père de Riad, du dernier-né de la famille, Fadi. Abdel-Razak Sattouf, qui apparaissait au début de la saga comme un père musulman plutôt moderne, libéral, ne faisant ni la prière ni le Ramadan, est revenu transformé de son séjour en Arabie Saoudite. Lui qui s’opposait à sa famille traditionnaliste souhaite désormais que ses enfants vivent selon les préceptes de l’islam et que sa femme lui soit soumise. Tiraillé entre la réputation de sage que lui donne son regain de foi (et que son diplôme de docteur ne lui avait jamais octroyée) et son désir de ne pas perdre femme et enfants (étant, eux, tout acquis au mode de vie occidental), le père de Riad est un personnage complexe, difficile à suivre, qu’on essaie de comprendre tout en voulant le ramener à la raison.


Dans le tome 5 de cette bande dessinée autobiographique, Riad est désormais au lycée, à Rennes, et son existence se partage entre sa passion du dessin qui s’affirme, ses premiers émois amoureux, son attrait pour la littérature et la découverte de groupes de rock. Des loisirs qui lui permettent d’échapper à la tristesse étouffante du foyer familial, alors que sa mère remue ciel et terre pour que le petit Fadi, retenu en Syrie, lui soit rendu. Au-dessus de ce quotidien hors-norme planent quelques ombres, notamment celle de ses cousins et camarades d’école syriens, dont Riad se rappelle les invectives et remontrances… Que ne diraient-ils pas s’ils voyaient la liberté qui règne en France, s’ils voyaient ces femmes séduisantes et volages, s’ils voyaient cette jeunesse décadente ? Si l’emménagement en Bretagne a mis Riad à l’abri de l’autoritarisme de la Syrie, alors dirigée par Hafez al-Assad et où sexisme et antisémitisme gangrènent la majorité des consciences, il ne l’a pas intégralement protégé de la violence des extrémistes. Celle-ci est aussi l’apanage des « Arabes » locaux, des petites racailles qui terrorisent la population, laquelle détourne discrètement le regard en espérant ne pas s’attirer leurs foudres. Leur haine viscérale du Français indigène est palpable, les coups et les insultes pleuvent régulièrement… L’antagonisme culturel décrit par Sattouf n’est alors plus seulement celui d’un père et d’une mère qui se déchirent, mais celui d’une société morcelée, divisée, sur laquelle une énorme vague s’apprête à déferler. Impossible de lire ces aventures de 1992-1994 sans penser au présent. Vivement la suite !

ludivine___b
9
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le 22 janv. 2021

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