Attention, spoilers partout.
Après la déconfiture progressive suscitée par le film, l'oeuvre initiale suscitait davantage de curiosité. Au vu de sa popularité, et surtout pour son auteur Alan Moore qui participa aussi à l'aventure Watchmen (dont l'adaptation m'avait elle complètement emballé, hélas il refusera là aussi d'être crédité au générique pour une histoire de demande de permission pour adaptation). Ici, si les débuts sont assez similaires à l'adaptation ciné, la complexité de V pour Vendetta se révèle plus subtile, et clairement plus radicale au fur et à mesure de son avancée.
Tout d'abord, V. Si il est toujours un robin des bois qui a un petit côté fantomas à base de gadgets (mortels) et un penchant pour l'éloquence et les citations classiques, il assume complètement sa vengeance dans la première partie. Il ne cherche pas déjà à déstabiliser le gouvernement, il élimine simplement ses anciens bourreaux. Ces derniers ont toutefois les tares énormes que l'on retrouve dans les films. Lewis Protero a une fascination pour une collection de poupée (le comic est un peu gros quand il s'aventure dans ces symboliques maousses (je pense aussi à la révélation de l'enquêteur qui, visitant le camp de Larkhill, se met à tout ressentir comme V, à revivre les évènements et donc finir par le comprendre). Ce ne fonctionne pas vraiment, mais passe avec indulgence. C'est surtout quand V commence à vouloir sérieusement déstabiliser le régime en place que le côté politique (et polémique) de l'anarchie qu'il incarne commence à devenir intéressant. Notamment par la prise de la tour Jordan et la diffusion de son message. Lisse et poli, plein d'humour et d'ironie dans la cinéphile ignominie, il est en revanche ici pédagogue et incisif. Il remet toute la population en face de ses responsabilités (leur faire assumer d'avoir porter ce régime au pouvoir). Il en profite même pour critiquer la dérive nucléaire (argument facile, mais il inclut alors le clan de certains présidents des USA parmi les dictateurs qu'il dénonce). Il reprend même l'accent noir d'un TV film raciste pour caricaturer l'attitude servile de la population. Et c'est alors que commence son plan de basculement. Car il se définit comme simplement destructeur et laisse les gens autour de lui (se) reconstruire (le calvaire d'Eve, les institutions corrompues...). Et surtout impliquer des tas d'innocents malgré eux. V bombarde de lettres séditieuses les londoniens dont une grande partie se retrouve alors injustement arrêtés. Car l'injustice doit être généralisée pour qu'il y ait basculement. Tout cela est logique et carrément couillu car c'est l'apologie d'un mal pour un bien. D'ailleurs, comme il l'explique, il ne peut atteindre l'anarchie sans passer par un stade de chaos auquel la dictature ne peut survivre. Ce chaos commence ici par de petits actes de pillages, des petits tags. Redoutant la montée progressive de la violence, la dictature embauche alors tous les malfrats dans les environs pour faire régner l'ordre et rafler les personnes suspectes. Cela est logique, et démontre que pour se maintenir, le gouvernement en place s'allie à des escrocs et leur octroie du pouvoir répressif. Dont ils abusent forcément, entraînant des actes de désobéissance et de rébellion en constante hausse. Ce fonctionnement est infiniment plus logique qu'un apero facebook devant le parlement. Et d'ailleurs, l'armée... Ben elle tire ici ! Merci ! Enfin !
Eve est d'ailleurs évidemment un peu plus développée, et surtout joue un rôle capital dans la fin de l'aventure. Dans le film, qu'est-elle ? Une simple spectatrice, victime allant au bout de sa transformation. Et c'est tout. Ici, elle reprend l'uniforme pour continuer à faire vivre le personnage et le rendre immortel. L'idée et le symbole perdure, l'homme n'est plus grand chose derrière le masque. Tout cela est plus réaliste et surtout plus entrainant que ce que propose le film (qui lui faisait finalement porter à l'ensemble de Londres le costume de V), qui a force de vouloir insister sur les symboles, en devient lourd, et laissait de côté beaucoup de ce qui faisait la polémique ici. Toujours un peu gros au niveau des détails symboliques (omniprésence de la lettre V et du chiffre 5 en caractères romains, le tout se révèle d'un bloc cohérent et homogène, gardant dans son austérité ce qu'il faut de mysticisme pour fonctionner malgré ses zones d'ombre. Ce qui n'est pas le cas de la version moderne, qui a force de tout vouloir expliquer et de simplifier le dilemme politique, aboutissait à un résultat sans dimension polémique.
On est bien sûr assez loin d'un fonctionnement rationnel, mais des partis pris un peu plus ambitieux permettent au comic d'apporter davantage de matière et de mieux fonctionner sentimentalement, en rendant réellement sombre les passages dramatiques, et de cultiver un aspect très froid avec son manque de couleurs criardes. Oeuvre intéressante.