V pour Vendetta
8.1
V pour Vendetta

Comics de Alan Moore et David Lloyd (1982)

Attention, spoilers partout.


Après la déconfiture progressive suscitée par le film, l'oeuvre initiale suscitait davantage de curiosité. Au vu de sa popularité, et surtout pour son auteur Alan Moore qui participa aussi à l'aventure Watchmen (dont l'adaptation m'avait elle complètement emballé, hélas il refusera là aussi d'être crédité au générique pour une histoire de demande de permission pour adaptation). Ici, si les débuts sont assez similaires à l'adaptation ciné, la complexité de V pour Vendetta se révèle plus subtile, et clairement plus radicale au fur et à mesure de son avancée.


Tout d'abord, V. Si il est toujours un robin des bois qui a un petit côté fantomas à base de gadgets (mortels) et un penchant pour l'éloquence et les citations classiques, il assume complètement sa vengeance dans la première partie. Il ne cherche pas déjà à déstabiliser le gouvernement, il élimine simplement ses anciens bourreaux. Ces derniers ont toutefois les tares énormes que l'on retrouve dans les films. Lewis Protero a une fascination pour une collection de poupée (le comic est un peu gros quand il s'aventure dans ces symboliques maousses (je pense aussi à la révélation de l'enquêteur qui, visitant le camp de Larkhill, se met à tout ressentir comme V, à revivre les évènements et donc finir par le comprendre). Ce ne fonctionne pas vraiment, mais passe avec indulgence. C'est surtout quand V commence à vouloir sérieusement déstabiliser le régime en place que le côté politique (et polémique) de l'anarchie qu'il incarne commence à devenir intéressant. Notamment par la prise de la tour Jordan et la diffusion de son message. Lisse et poli, plein d'humour et d'ironie dans la cinéphile ignominie, il est en revanche ici pédagogue et incisif. Il remet toute la population en face de ses responsabilités (leur faire assumer d'avoir porter ce régime au pouvoir). Il en profite même pour critiquer la dérive nucléaire (argument facile, mais il inclut alors le clan de certains présidents des USA parmi les dictateurs qu'il dénonce). Il reprend même l'accent noir d'un TV film raciste pour caricaturer l'attitude servile de la population. Et c'est alors que commence son plan de basculement. Car il se définit comme simplement destructeur et laisse les gens autour de lui (se) reconstruire (le calvaire d'Eve, les institutions corrompues...). Et surtout impliquer des tas d'innocents malgré eux. V bombarde de lettres séditieuses les londoniens dont une grande partie se retrouve alors injustement arrêtés. Car l'injustice doit être généralisée pour qu'il y ait basculement. Tout cela est logique et carrément couillu car c'est l'apologie d'un mal pour un bien. D'ailleurs, comme il l'explique, il ne peut atteindre l'anarchie sans passer par un stade de chaos auquel la dictature ne peut survivre. Ce chaos commence ici par de petits actes de pillages, des petits tags. Redoutant la montée progressive de la violence, la dictature embauche alors tous les malfrats dans les environs pour faire régner l'ordre et rafler les personnes suspectes. Cela est logique, et démontre que pour se maintenir, le gouvernement en place s'allie à des escrocs et leur octroie du pouvoir répressif. Dont ils abusent forcément, entraînant des actes de désobéissance et de rébellion en constante hausse. Ce fonctionnement est infiniment plus logique qu'un apero facebook devant le parlement. Et d'ailleurs, l'armée... Ben elle tire ici ! Merci ! Enfin !


Eve est d'ailleurs évidemment un peu plus développée, et surtout joue un rôle capital dans la fin de l'aventure. Dans le film, qu'est-elle ? Une simple spectatrice, victime allant au bout de sa transformation. Et c'est tout. Ici, elle reprend l'uniforme pour continuer à faire vivre le personnage et le rendre immortel. L'idée et le symbole perdure, l'homme n'est plus grand chose derrière le masque. Tout cela est plus réaliste et surtout plus entrainant que ce que propose le film (qui lui faisait finalement porter à l'ensemble de Londres le costume de V), qui a force de vouloir insister sur les symboles, en devient lourd, et laissait de côté beaucoup de ce qui faisait la polémique ici. Toujours un peu gros au niveau des détails symboliques (omniprésence de la lettre V et du chiffre 5 en caractères romains, le tout se révèle d'un bloc cohérent et homogène, gardant dans son austérité ce qu'il faut de mysticisme pour fonctionner malgré ses zones d'ombre. Ce qui n'est pas le cas de la version moderne, qui a force de tout vouloir expliquer et de simplifier le dilemme politique, aboutissait à un résultat sans dimension polémique.


On est bien sûr assez loin d'un fonctionnement rationnel, mais des partis pris un peu plus ambitieux permettent au comic d'apporter davantage de matière et de mieux fonctionner sentimentalement, en rendant réellement sombre les passages dramatiques, et de cultiver un aspect très froid avec son manque de couleurs criardes. Oeuvre intéressante.

Voracinéphile
6
Écrit par

Créée

le 2 janv. 2016

Critique lue 300 fois

5 j'aime

1 commentaire

Voracinéphile

Écrit par

Critique lue 300 fois

5
1

D'autres avis sur V pour Vendetta

V pour Vendetta
Amrit
9

Les débuts d'une passion

Mon premier contact avec l'Oeuvre de Moore... Sans verser dans le fanatisme décérébré, force est de constater que peu d'auteurs, toute littérature confondue, m'auront autant retourné que ce fils de...

le 5 janv. 2011

66 j'aime

2

V pour Vendetta
Floax
5

D pour Déception

[Attention spoilers] Oui je sais, c'est un peu une hérésie de mettre 5 à ce comics mythique, mais la déception est telle que je ne peux lui mettre plus. Tout d'abord, je n'ai jamais réussi à me...

le 6 janv. 2013

38 j'aime

7

V pour Vendetta
Gand-Alf
10

No Roses for Anyone.

Le sang, les larmes, le malheur, la folie, la mort, ont toujours été là, proches de nous, nous encerclant, nous dévorant corps et âme. Mais il y avait aussi la beauté, les rires, l'amour, la liberté,...

le 20 nov. 2016

36 j'aime

1

Du même critique

2001 : L'Odyssée de l'espace
Voracinéphile
5

The golden void

Il faut être de mauvaise foi pour oser critiquer LE chef d’œuvre de SF de l’histoire du cinéma. Le monument intouchable et immaculé. En l’occurrence, il est vrai que 2001 est intelligent dans sa...

le 15 déc. 2013

99 j'aime

116

Hannibal
Voracinéphile
3

Canine creuse

Ah, rarement une série m’aura refroidi aussi vite, et aussi méchamment (mon seul exemple en tête : Paranoia agent, qui commençait merveilleusement (les 5 premiers épisodes sont parfaits à tous les...

le 1 oct. 2013

70 j'aime

36