Watchmen
8.5
Watchmen

Comics de Alan Moore et Dave Gibbons (1986)

Au risque de faire grincer des dents Alan Moore, de facto hostile aux adaptations cinématographiques de son œuvre, il m’est impossible de parler de son faramineux Watchmen sans évoquer le film de Zack Snyder : car là où le culte comic-book s’avère être à juste titre renversant, la réussite de son portage sur grand écran n’en est que plus évidente, celui-ci étant parvenu à lier fidélité à l’esprit original et signature propre... tout en opérant des choix forts judicieux.


Si le Watchmen papier impressionne de par sa richesse thématique et sa narration démultipliée, l’arc scénaristique parallèle du Black Freighter n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’une intrigue aux confins de la surcharge : du moins d’agit-il d’une impression s’invitant parfois au gré d’une lecture heureusement immersive, qui mérite bien des louanges au bout du compte. Car si le long-métrage ne se sera pas embarrassé d’un tel sous-texte au profit de sa propre cohérence, et du médium qu’il incarne, comment expliquer que son illustre modèle ne pâtisse pas d’une rupture potentielle à ce point prégnante ?


Tandis que ses interludes étoffent à n’en plus finir un univers captivant, Watchmen évite bien contre vents et marées le naufrage en liant la petite histoire à la grande, là où des « super-héros » désœuvrés vont s’échiner à retrouver du sens dans leurs actions : mais dans la droite lignée d’un passé tumultueux où politiques et grand public égratigneront leur image, l’existence et les raisons de tels individus masqués ne tiennent en rien de l’évidence. Point de balises ne jalonneront le récit, celui-ci foulant du pied le manichéisme et autres facilités d’usage pour servir une cause plus réaliste : le contexte de Guerre Froide d’abord, mais surtout une réflexion faisant la part belle à un doux pessimisme, Watchmen s’employant adroitement à désacraliser ses justiciers originaux.


Pour en revenir au Black Freighter, disons que celui-ci s’inscrit dans un tout généreux comme ingénieux : car quand bien même l’on pourrait s’interroger sur la finalité du plan d’Adrian Veidt sous l’angle artistique (mais pas que), plan lui-même un chouïa alambiqué (là où le film sera plus simple mais tout aussi efficace), Watchmen s’émancipe avec classe du seul périple super-héroïque pour nous offrir une fresque d’une toute autre envergure. Le genre d’envergure folle. Avec un grand F. Folle.


Parfaitement illustré par Dave Gibbons, auteur d’une mise en scène au cordeau, les méandres lugubres et torturées composant Watchmen sont une démonstration de bout en bout, Alan Moore orchestrant une enquête brillant d’un usage brillant du temps. Les déambulations d’un Dr. Manhattan aussi intime qu’étranger à ses camarades en rendent bien compte, l’échappée-belle sur Mars et les tenants de ses origines faisant de l’axe temporel le support d’une créativité narrative extraordinaire de justesse. Et comme si cela ne suffisait pas, il ne s’agit pourtant que d’une pierre parmi un édifice multi-tonales remuant.


Car la force de Watchmen réside, s’il tant est qu’il faille encore le répéter, dans sa formidable alchimie thématique, nullement réduite au carcan super-héroïque : si nous pourrons ressentir de l’empathie pour ces pauvres hères suspendus aux fils d’un Moore retors, la force du propos à l’œuvre s’adresse finalement à tout un chacun en le confrontant à l’envers de l’existence. Une existence surestimée, emprunte d’une petitesse relative mais tangible, et dans les faits assombrie d’une sauvagerie certaine, où l’idée du « miracle » de la vie enjoint à la circonspection : mais plutôt que de tirer des conclusions toutes faites, l’intrigue et son dénouement doux-amer laisseront le spectateur au même niveau que ses protagonistes... vivants mais bien conscients. À moins que ce ne soit l’inverse.


Il y aurait encore tant à dire, mais rendre comme il se doit hommage à ce monument qu’est Watchmen tient de l’illusion.


Néanmoins, si « rien ne se finit jamais », au moins ce papier le sera.

NiERONiMO
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le 16 mars 2019

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