Watchmen
8.5
Watchmen

Comics de Alan Moore et Dave Gibbons (1986)

Washmen, les aventuriers du lavabo perdu

Watchmen, c’est LA série de comic books qui a transcendé le média, LE saint graal des adorateurs de héros en slips qui ont grandi et ont pris un peu de recul.

… mais euh en fait j’ai trouvé The Dark Knight Returns plus abouti….

Attendez, attendez ! Ne quittez pas encore cette critique et laissez-moi une chance de m’expliquer !

Parce que oui, Watchmen est parfaitement génial.

Rappel des faits, si par pur hasard vous êtes ici sans savoir de quoi on parle : Watchmen, c’est une des œuvres qui ont marqué la transition de l’âge de bronze des comics vers l’âge moderne, caractérisé par une approche se voulant plus réaliste, plus sombre, une plus grande psychologisation des personnages. Une œuvre qui, dit-on, a tout changé dans l’industrie des comics. Et je le crois sans problème.

C’est donc dans un autre univers que se déroule l’action, très semblable au nôtre, à une exception : les super-héros existent. Les aventures des super-héros dessiné dans les années 40 ont influencé fortement tout une génération, et certaines personnes ont décidé de les imiter : ainsi sont arrivés un paquet de héros aux origines et motivations diverses ; parmi eux, le Juge masqué, le Hibou, le Spectre soyeux, le Comédien, la Silhouette ou encore le Captain Metropolis, qui a par après décidé de les fédérer pour en faire les Minutemen, première association historique de héros, dont le nom provient des fameuses milices constituées pour lutter contre les Anglais à l’époque de la guerre d’indépendance. Plusieurs dizaines d’années plus tard, les exploits de ces héros, qui ont fini par se séparer, ont inspiré une nouvelle génération de héros qui opérera dans les années 60-70, les Watchmen, ou Gardiens ou Vigilants en français (on voit bien évidemment le jeu de mots avec les Minutemen, watch signifiant également montre). On y retrouve un Comédien plus âgé et beaucoup plus cynique, la fille du Spectre soyeux qui a repris son identité héroïque, l’héritier spirituel du Hibou, qui peut compter sur une solide fortune personnelle pour épauler sa lutte, Ozymandias, prétendument l’homme le plus intelligent du monde, Rorschach, esprit romantique épris de justice qui n’hésite pas à recourir à la violence, et, last but not least, Dr. Manhattan, seul et unique surhomme du monde, un scientifique qui est décédé lors d’une expérience et qui on ne sait comment est revenu des morts, transformé, et doté de la capacité de transcender le temps et l’espace, mais qui a perdu au passage une grande partie de son humanité. Toutefois, à la suite de divers troubles le gouvernement américain décide de démasquer et d’interdire les héros. Deux restent en activité : le Comédien, en tant que mercenaire à la solde du gouvernement, rôle qu’il occupait déjà avant l’interdiction des héros, et Rorschach, passé dans l’illégalité, plus violent et impitoyable que jamais, rongé par son obsession. Mais lorsque le Comédien est retrouvé assassiné, Rorschach suspecte un tueur de masques et décide d’enquêter…

Voilà. Introduire Watchmen n’est pas une tâche aisée, car il est nécessaire d’introduire un monde qui se découvre petit à petit dans le média d’origine.

Entrons dans la critique proprement dite.

Watchmen, c’est génial : la narration est encore aujourd’hui l’une des plus travaillées du genre, et flirte parfois avec l’expérimental ; l’univers dépeint est cohérent, ça parle de guerre froide et de super-héros d’une façon qui nous immerge sans hésiter dans cet autre monde ; ça fourmille de réflexions assez intéressantes sur le média du comics et les super-héros ; graphiquement, c’est également superbe, pour peu qu’on soit réceptif au style de Dave Gibbons ; le jeu de couleur, lui aussi, est de toute beauté ; quant au design des personnages, il est à la fois efficace et mémorable, à l’exception je dirais de celui du Spectre soyeux nouvelle génération, très oubliable, contrairement par exemple aux fabuleux Rorschach et Dr. Manhattan ; enfin, l’histoire est superbement rythmée, si l’on garde à l’esprit que l’histoire était originellement diffusée sous format épisodique, chaque chapitre forme un tout cohérent et fabuleux.

Pourtant, par respect pour l’œuvre, on ne peut occulter ses défauts. À mon sens, il y en a peu, mais ils sont liés les uns aux autres.

Déjà, cette fin. Après un récit génial, on s’attend à une fin en apothéose, pleine de sens, profonde, épique, tragique, peu importe que ça finisse bien ou mal tant que Moore sait où il va. Or, le final est dramatiquement banal et peu intéressant, et se justifie en plus de façon assez lourdingue (/!\ SPOIL !!!/!\ l’histoire de l’onde de choc psychique de la bestiole à la fin, WTFF !? /!\FIN DU SPOIL !!!/!\). Moore détricote soigneusement son univers de façon peu crédible et à la limite du stupide.

Ensuite, des éléments sont introduits dans l’intrigue sans qu’ils aient réellement d’intérêt dans l’histoire : ainsi, tout le truc avec les auteurs enlevés n’a que très peu d’importance pour l’histoire, tandis que l’idée sympa de mise en abime avec l’histoire du bateau pirate n’apporte pratiquement rien à l’ensemble, surtout que ça s’arrête de façon assez abrupte.

Enfin, de manière générale flotte une impression de sous-exploitation de cet univers : on aimerait en savoir plus sur les déboires des Minutemen, les évolutions des protagonistes, les raisons qui les ont poussé à devenir ce qu’ils sont devenus (en particulier le Comédien, certainement le personnage le plus complexe de l’histoire). Mais non, tout cela est très vaguement suggéré, sans jamais que ce ne soit réellement abordé. Pour le coup, ça donne envie de lire les Before Watchmen, car on aimerait en savoir plus.

Il y a donc une véritable sensation d’inachevé qui se dégage du bijou qu’est Watchmen. En un sens, je crois que c’est voulu. Et je ne reproche pas aux auteurs cette imperfection, et je ne crois pas non plus que Watchmen soit surestimé. Ca se lit tout seul, c’est beau, c’est profond, c’est intelligent, c’est un exercice de narration scénaristique et graphique inédit, un ovni qui, certainement, a contribué à changer le monde. Watchmen, c’est l’ambiguïté du bien et du mal, c’est la mort et la résurrection, c’est l’espoir et le désespoir. Une œuvre résolument humaine, nécessairement imparfaite, et paradoxalement intemporelle, malgré son ancrage dans un moment précis de l’histoire.
Antevre
9
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Créée

le 17 févr. 2014

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Antevre

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