Watchmen
8.5
Watchmen

Comics de Alan Moore et Dave Gibbons (1986)

Quand Alan Moore se pique de commenter Juvénal

J'ai développé pour Watchmen une fascination coupable, que je ne peux que comparer à celles que je porte à Blade Runner et au Voyage de Chihiro. Trois découvertes, trois illuminations, respectivement un comics de super-héros stimulant intellectuellement, une science-fiction contemplative et intrigante et une féérie non manichéenne. Je ne prétends pas que ces trois œuvres soient les meilleures en leur genre, elles ont pu être égalées, peut-être dépassées, mais elles resteront à jamais, à mes yeux ébahis, les premières.


Alan Moore est un génie, un génie contrariant et provocant : ne se déclare-t-il pas anarchiste, magicien et adorateur de Glycon ? Les innombrables prix (neuf Eisner Award, trois Jack Kirby Award et sept Harvey Award) et le chiffre astronomique atteint par ses ventes aident la prude Amérique à tolérer ses prétentions déviantes. La richesse de son imagination, l'étendue de son talent et sa capacité à jouer des codes me fascinent. Il a su produire du Marvel et du DC comics de série, puis déconstruire les super-héros, avant de les recréer, résolument modernes. Il peut tout, ne respecte rien, ne s'interdit rien et exige une absolue liberté, accumulant les conflits avec éditeurs et adaptateurs. Un homme complexe.


Avec Watchmen, Moore plonge ses lecteurs dans un univers familier, une Amérique contemporaine, des super-héros méconnus ; une franchise de Charlton Comics ; une ville violente et sale. Mais, par une série d'incises habiles, nous découvrons une réalité altérée, Nixon a conservé le pouvoir, les USA ont vaincu le Nord-Vietnam, les superhéros ont été interdits. L'un d'eux vient d'être assassiné, nous suivrons l'enquête.


Qu'ils soient bons ou méchants, les "supers" de Watchmen sont pleinement humains. Point de pouvoirs para ou métanormaux, mais des athlètes, des bricoleurs, des casse-cous. Moore nous livre une galerie de héros pitoyables, s'acharnant à nous présenter le revers de la médaille, que cachent-ils sous leur masque ? Quelle pathologie peut pousser un être humain à enfiler un collant de couleur brillante afin de combattre le crime ? La réponse est prévisible, les passions humaines sont connues : mégalomanie, vengeance, jalousie, avarice, sadisme, masochisme... et leurs cortèges de corruptions, doutes, folies, dépressions...


Alors que nous nous habituions à son univers, Moore casse sa propre règle, renouant avec les mythologies classiques : le super né d'une piqure d'araignée, d'une tempête magnétique ou d'une exposition à des radiations. Entre en scène le docteur Manhattan. Les USA ont découvert la Bombe et, se faisant, crée une anomalie atomique. Manhattan est fort, trop fort. Tout puissant, il impose la Pax Americana et ringardise les anciens super-héros, désormais bannis. Trop puissant, l'inhumain et quasi divin Manhattan s'éloigne... suscitant une résurgence des tensions internationales et un possible retour des héros.


Dave Gibbons livre un dessin proche des canons des productions Marvel des années 70 : une ligne claire, des aplats de couleurs tranchées, un trait rapide qui surprendra les lecteurs contemporains. Que dire de plus ? Les esprits chagrins considéreront comme inutile le récit de pirates et s'estimeront floués par une fin intelligente, mais brutale.


Pourtant, Moore est le plus grand. " Quis custodiet ipsos custodes ? "

SBoisse
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 BD, Les meilleures BD de science-fiction, Tout Alan Moore... en français, 154 critiques de bandes dessinées et Mes comics préférés

Créée

le 15 févr. 2018

Critique lue 3.5K fois

51 j'aime

17 commentaires

Step de Boisse

Écrit par

Critique lue 3.5K fois

51
17

D'autres avis sur Watchmen

Watchmen
Torpenn
4

Not any Moore

Cette fois, c'est la dernière, j'en peux plus moi, votre dégénéré barbu végétarien que vous idolâtrez comme c'est pas permis, je vous le laisse, étouffez-vous avec si vous voulez, mais arrêtez une...

le 28 juin 2012

101 j'aime

244

Watchmen
YellowStone
10

Quelle claque !

Ça faisait longtemps que je l'attendais celle-là ! Il y a peu de temps, je me disais que ça remontait à loin ma dernière claque culturelle. Vous savez, quand on découvre un truc complètement nouveau...

le 9 oct. 2012

75 j'aime

11

Watchmen
SBoisse
10

Quand Alan Moore se pique de commenter Juvénal

J'ai développé pour Watchmen une fascination coupable, que je ne peux que comparer à celles que je porte à Blade Runner et au Voyage de Chihiro. Trois découvertes, trois illuminations, respectivement...

le 15 févr. 2018

51 j'aime

17

Du même critique

Gran Torino
SBoisse
10

Ma vie avec Clint

Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...

le 14 oct. 2016

125 j'aime

31

Mon voisin Totoro
SBoisse
10

Ame d’enfant et gros câlins

Je dois à Hayao Miyazaki mon passage à l’âge adulte. Il était temps, j’avais 35 ans. Ne vous méprenez pas, j’étais marié, père de famille et autonome financièrement. Seulement, ma vision du monde...

le 20 nov. 2017

123 j'aime

12