On peut constater un certain assagissement chez Atsushi Kaneko. Les formes se désentrelacent, les plans vont en se distinguant les uns des autres et les intrigues se clarifient. Pour résumer :

1) Au départ nous avons un dessinateur virtuose qui anime de concert tous ses fantasmes de fiction dans une sarabande démente. C’est le Atsushi période Bambi (éditions IMHO). Un Tarantino de papier enrobant toutes ses fusillades dans un graphisme psyché alors que retentit le rythme endiablé d’un punk-rock primitif… Un Tarantino qui aurait cependant troqué le glamour publicitaire pour une bonne dose de cauchemar suintant qui ne déparerait pas dans le frigo de Stéphane Blanquet. L’intrigue semble se résumer à une succession de combats, avant qu’une histoire ne se dévoile. Impossible à gérer sur le long terme, le dessinateur scénariste finit par la faire retomber in extremis sur ses pattes grâce à une pirouette acrobatique. Nous disions alors bravo.

2) Atsushi change de cap… L’improvisation il a déjà donné. Il veut se sortir une histoire de la tête. Se montrer qu’il peut produire une œuvre structurée et longue, qu’il peut élaborer un plan et s’y tenir. Surviennent alors les 11 tomes de Soil (éditions Ankama) : Blam ! Blam ! Blam ! Écoutez comme ils paraissent avec régularité. Votre portefeuille pleure et la larme nous vient à l’œil en constatant que oui, c’est vrai, il y est arrivé ! Vu le départ il semblait impossible que cette histoire de famille disparue, de pyramide de sel extra-terrestre, de recréation de cérémonies magiques ancestrales, d’adolescents perdus pour la normalité et de ville qui se dérobe puisse jamais, mais jamais tenir debout. Et bien si, et s’est magnifiquement angoissant et criant d’une formidable lucidité sur les caractéristiques de notre espèce. L’œuvre s’adresse tout de même à des rationalistes capables d’admettre que l’on puisse changer le cours du destin en se couvrant de ketchup et en tapant très fort sur une marmite. C’était le Atsushi période « Lynch et Cronenberg ont lu Mircea Eliade ». Nous disions toujours bravo.

3) Et voilà comment on arrive à la nouveauté à paraître en janvier ! Wet Moon…chez Casterman (merci aux défricheurs qui ont précédé : vous avez vendu que dalle laissez donc faire les pros). D’abord c’est beau. Des aplats de noir viennent régulièrement structurer les cases. Auparavant l’aplat de noir était plutôt réservé aux scènes nocturnes. Il faut préciser qu’Atsushi n’a pas d’assistant, alors quand, au Japon, tu n’as personne pour te mettre du noir là où tu fais une petite croix, tu évites de faire des petites croix (je plaisante). Donc le dessin de Wet Moon est parfaitement équilibré, tout à fait lisible sans rien perdre de sa personnalité. Le découpage et la mise en scène y sont renversants (allez au pif : p. 86, p. 131, magnifique, non ?). La peur et l’angoisse montent en vous tandis que le sang vous cogne les tempes… Oui bien sûr mettez-vous un peu en condition, n’allez pas me lire ça sans investissement, au boulot en mâchouillant un burger tout en surveillant votre fessebouc !
L’histoire ? Et bien… Sata, un jeune inspecteur, obsédé par la lune, voit la réalité se déliter à la suite d’un accident qui lui a laissé une cicatrice à la tempe. Que lui est-il arrivé ? Il ne sait plus bien… Sa mémoire n’est plus fiable et ses collègues ont l’air de conspirer. Pas facile d’enquêter dans ces conditions. Ah oui, nous sommes en 1966 et le Japon ne semble pas désespérer de participer lui aussi à la conquête spatiale. Quand je vous disais qu’Atsushi s’était assagi. Nous disons enore une fois : bravo !

Vlad Bapoum
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le 3 déc. 2013

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