Suite de l’album précédent, sans lequel il perd probablement son intérêt, L’Homme qui valait 500 000 $ n’ajoute finalement pas grand-chose aux données de départ : le seul homme capable de mener à l’or est identifié et exfiltré, les traîtres sont repérés et les mêmes personnages – Blueberry, Pearl, Lopez, Finlay, Trevor, Vigo, Boudini… – convoitent le magot.

Le trait de Giraud est ici efficace à défaut d’être toujours marquant – ou alors dans le mauvais sens : les cheveux de Pearl dans la première partie de l’album –, si bien qu’on remarquera surtout la virtuosité peut-être un peu facétieuse avec laquelle le scénario dédouble les motifs et les figures. Ce sont les rivaux d’hier qui s’allient contre un troisième adversaire. C’est un mariage arrangé qui fait écho à un ancien mariage secret. C’est un évadé qui, bien qu’il voie clair dans le jeu de son complice, accepte d’être trahi en comptant lui-même le trahir. C’est une succession d’emprisonnements, et pas seulement pour Blueberry, même si ce quatorzième volume est celui où il se retrouve le plus souvent aux mains de ses ennemis – voir la regrettable scène du bourreau chinois.

Ce sont de petits groupes, plus ou moins pouilleux mais tous aussi poussiéreux les uns que les autres, qui se parlent d’un trésor. Vers le milieu du récit, un certain Reagan (!) feint d’être atteint du typhus : mais c’est la folie de l’or qui contamine tout les personnages de l’album.

Du côté des personnages, c’est aussi comme si chacun cherchait son double : Blueberry cherche Trevor, Mac Clure retrouve Red Neck, Boudini sert Lopez, Pearl aide Blueberry, Blueberry trouve Trevor, Lopez épouse Pearl, Trevor emmène Pearl… Au final, les traîtres meurent seuls. Et le titre peut s’appliquer aussi bien à Blueberry qu’à Trevor – voire à d’autres personnages.

Ironiquement peut-être, L’Homme qui valait 500 000 $ est l’album dans lequel Pearl acquiert de l’épaisseur. Dans Chihuahua Pearl, son rôle n’était qu’une variation autour du statut de la demoiselle en détresse, de celles qu’on peut embrasser sans leur demander leur avis. Désormais, le « délicieux démon » (p. 18) s’apparente davantage à la femme fatale, de celles qui portent une tenue d’aventurière sous leur robe de mariée. Il y a un petit côté Kill Bill dans ce mariage en plein désert. (Peut-être aussi que Jill McBain d’Il était une fois dans l’Ouest est passée par là.) Dans Blueberry comme chez Tarantino le fantasme reste très masculin (« Cette poupée fait fondre mon pauvre vieux cœur ! », p. 8, merci Mac) mais au moins Pearl agit, fonctionnant là encore en miroir du personnage principal – la même ruse, le même sang-froid, la même adresse au tir.

Elle incarne aussi une forme d’attachement, au moins par rapport à Trevor, là où Blueberry reste l’homme du détachement.

Alcofribas
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