Le Journal d'un ingénu (2008)

On peut trouver des qualités à ce SPIROU, oui. Mais de là à crier au chef-d’œuvre, il ne faut peut-être pas exagérer. Spirou a toujours été un personnage vivant dans un monde imaginaire très ressemblant au notre, justement pour mieux dénoncer les travers de notre société et de son évolution, comme cela se fait en science-fiction par exemple. Franquin en son temps avait déjà inventé la Palombie (Spirou et les héritiers) où il dénonçait le totalitarisme (Le Dictateur et le champignon). Sans oublier Zorglub et QRN sur Bretzelburg. Bref, l'univers de SPIROU & FANTASIO permet de critiquer les horreurs du monde réel par un aspect faussement naïf, sans toutefois manquer de poésie. Et c'était là tout le talent de Franquin, puis de Fournier et de Tome & Janry. C'était ce qui faisait l'identité de la série.

Dans Le Journal d'un ingénu, Emile Bravo fait évoluer les personnages dans le "monde réel" et le propos est ouvertement et concrètement politique. Et franchement, entendre encore parler de la Seconde Guerre Mondiale, de ses atrocités, des exactions barbares, etc... j'en ai ras le bol. Je ne lis pas SPIROU pour ça. On ressasse tellement le sujet à longueur de temps sur tous les supports médiatiques depuis des années que je sature. Certes, ce fût atroce, et il ne faut jamais oublier. Bla-bla-bla... Mais il serait bon maintenant (70 ans après) qu'on passe enfin à autre chose - l'avenir par exemple ? - au lieu de toujours ressasser et de se complaire dans ce sinistre passé-là. Ce qui ne sert à rien, à part donner une pseudo-bonne conscience à tout le monde.

Je suis également dérangé par le fait que ce soit Fantasio qui participe au déclenchement du conflit mondial version Bravo. Lui qui a toujours été farfelu et parfois crétin, restait attachant. En faisant de lui un potentiel déclencheur du cataclysme, l'auteur lui a ôté la sympathie qu'on éprouve d'habitude pour lui, car on ne peut passer sur le fait que quelqu'un - même un loufoque - provoque une telle catastrophe ("Il a provoqué la guerre ? Mais c'est pas grave, c'est Fantasio !") Ce genre de chose aurait justement pu passer si l'histoire avait été située dans un monde fictif, mais dans le contexte d'une guerre réelle (et surtout celle-là, si obsessivement présente dans l'esprit des gens), il n'y a absolument pas de quoi rire. Si un individu tel que Fantasio avait réellement existé et qu'il ait fait ce que décrit Emile Bravo, je ne pense pas qu'il y aurait beaucoup de monde pour le trouver rigolo. D'autant plus que c'est un vulgaire paparazzo, manipulateur, hypocrite, antipathique et malhonnête. Une ordure, quoi. L'antithèse de Fantasio normalement.
Ajoutons à cela une mise en couleur sinistre et le misérabilisme habituel cher à l'auteur (c'est pas Spirou, c'est Cosette !) pour achever de me faire considérer cet album comme secondaire, et pas du tout exceptionnel (sans oublier le manque d'humour qui n'est pas compensé par quelques petites scènes touchantes).
Quant à la proposition naïve de Spirou pour éviter la guerre, c'est vraiment limite ("Ouais, vous n'avez qu'à donner un bout de votre Pologne à l'Allemagne, ça évitera 50 millions de morts. Vilains égoïstes ! Donnez-leur Danzig et bâtissez-vous un autre port plus haut sur la Vistule, comme Anvers chez nous.") C'est très facile à faire dire à son personnage quand on écrit 70 ans après les faits. C'est naïvement con et franchement insultant : en gros (vu que le négociateur nazi est favorable à la proposition de Spirou), Bravo suggère que les Polonais sont responsables de la Seconde Guerre Mondiale parce qu'ils n'ont pas voulu céder Gdansk.

Et dire qu'il y a une foule de gens qui considèrent cet album comme le meilleur SPIROU, alors qu'il n'est absolument pas représentatif de l'esprit d'aventure et de l'humour coloré qui ont toujours caractérisé la série. C'est bien triste.