Les premières pages se placent dans la continuité de l’album précédent: nous y trouvons un Riad égaré entre une projection mentale des commentaires sévères de son père, et la dépression de plus en plus pesante de sa mère. Longtemps restée un point d’appui affectif pour Riad, la mère apparaît désormais au fil des pages comme un personnage désagréable, acariâtre voire, osons le dire, un boulet. Ne réussissant pas à faire le deuil de Fadi et se risquant à de multiples tentatives vaines et risquées pour le récupérer, elle a même fini par développer le racisme qu’elle reprochait à son ex-conjoint.


Les débuts de Riad en tant qu’étudiant puis illustrateur sont marqués de l’équilibre entre Paris, capitale oppressante, aux rencontres parfois houleuses, et Rennes, devenue l’ornière de son passé où la disparition de Fadi forme une chape de plomb. La mort plus ou moins inattendue de membres de sa famille consomme progressivement les liens avec ce lourd passé. Pourtant, la passion grandissante de Riad pour le dessin et particulièrment la bande dessinée, et sa concrétisation difficile dans de rigoureuses études académiques puis spécialisées, deviennent une attache affective inattendue de Riad avec sa famille.


Préfigurés sur l’album précédent, les commentaires mentaux de Riad Sattouf prennent de l’ampleur. La projection mentale de son père commente abondamment chaque fait ou geste ou presque. Les rencontres sont sujets aux "blagues méchantes" de cette figure intériorisée, qui critique les rencontres de Riad Sattouf, surtout les rencontres féminines d’ailleurs, mais aussi la passion de Riad pour le dessin, "ce truc d’hommes qui vont avec d’autres hommes". Il est marquant de constater le vertigineux contraste entre l’hilarante désinvolture de la projection mentale du père, d’une part avec la complexe timidité de Riad, d’autre part avec la grandissante confusion des lettres, bien réelles, envoyées par Abdel-Razak à son fils aîné.


Ses premiers succès en bande dessinée bénéficient d’une perspective autobiographique inédite. Riad Sattouf se livre à l’exercice très risqué de la mise en abyme. Il décrit en détail certaines étapes de son parcours (ses rencontres avec des auteurs et des éditeurs, ses immersions parmi la faune collégienne) sans pour autant sombrer dans le narcissisme. L’album offre un parcours transversal inédit de certaines œuvres clés de sa carrière, à commencer par ses débuts prometteurs où il exprimait déjà toute sa crudité, entraînant sa convocation par le Comité pour les Ouvrages de la Jeunesse qui sera l’un des points de départ de sa rencontre avec Charlie Hebdo et de la série La Vie Secrète Des Jeunes. Ainsi que l’influence cruciale de son parcours académique, déjà abordé dans l’ouvrage L’Écriture Dessinée. Dans ce dernier ouvrage comme dans le présent album, il mentionne également les esquisses de la série L’Arabe Du Futur elle-même. On trouve dans ces esquisses un style encore peu dégrossi, mais aussi les difficultés de Riad Sattouf à rassembler ses souvenirs.


Pourtant, malgré ces multiples embranchements, Riad Sattouf parvient irrésistiblement à faire monter la tension émotionnelle, ce qui relève du prodige avec certains thèmes pouvant facilement tourner au déroulage plan-plan. Rarement un ouvrage de bande dessinée n’aura aussi puissament entrechoqué les intrigues autobiographiques. Le sommet de l’album est l’exploration du subconscient de Riad avec l’aide d’une psychothérapeute. Dialogues, rêves, réflexions: tout est d’une charge émotionnelle sublime, que la conclusion de l’ouvrage va encore démultiplier.


Un récit exaltant malgré lui.

Nanar60-AlphaWave
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le 21 déc. 2022

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