Je vais révéler des éléments centraux de l'intrigue dans cette critique mais, en même temps, celle-ci est très prévisible.


Avant de se lancer dans un film de la saga James Bond, on sait au détail près à quoi s'attendre. L'agent 007 va être confronté la plupart du temps à un homme pétri de mauvaises intentions, évoluer en charmante compagnie féminine et parfois être trahi par celle(s)-ci, rouler au volant de son Aston Martin fétiche et effectuer un quasi-tour du monde pour avancer dans sa mission.
A l'heure de commencer ce Spectre (le nom de l'organisation machiavélique à laquelle le héros va faire face), le spectateur peut se montrer confiant face à Sam Mendes (réalisateur du grandiose American Beauty), qui réalise là son deuxième volet de la saga après un Skyfall de haute facture et globalement salué par la critique. Spectre était de plus annoncé comme un aboutissement du DCU - Daniel Craig Universe (désolé pour la vanne de merde...) et la bande-annonce laissait présager que les arcs narratifs développés dans les précédents volets allaient trouver une conclusion.


Le début du film augure d'une qualité égale à Skyfall : le réalisateur gratifie le spectateur d'un plan-séquence maîtrisé et très bien dessiné dans l'espace des rues de Mexico au moment des célébrations de la fête des morts - soit un milieu des plus plaisants en termes purement visuels. Néanmoins, sur le plan narratif, cette scène d'ouverture reste classique pour un film James Bond qui se respecte ; on a effectivement le droit à une scène d'action introduisant les forces en présence dans un désir de nous immerger directement dans l'intrigue. Or, cette première scène est symptomatique du film dans sa totalité ; les choix d'angle de prises de vue et de montage sortent prématurément le spectateur de l'action en nous montrant une scène d'hélicoptère filmée de l'intérieur, de l'extérieur, de près et de loin... Sans qu'aucun de ces choix ne paraisse cohérent.
Par la suite, toutes les scènes d'action pure vont tomber à l'eau d'une manière ou d'une autre : par une pointe d'humour mal placée ou par un manque de crédibilité total.


Les exemples sont légion et ponctuent tout le film, à commencer par l'écriture du personnage de Bellucci, toute récente veuve et couchant pourtant avec Bond moins de cinq minutes après sa première apparition. Cela est déjà assez absurde mais il faut ajouter que Bond est le meurtrier de son mari et que la présence de la beauté italienne n'est ici qu'utilitaire ; elle ne sert qu'à faire avancer l'intrigue en annonçant la tenue d'une réunion de Spectre à son amant d'un soir. On distingue un autre exemple notable de l'absurdité constante dans laquelle baigne le film ; bien que le combat entre Bond et l'un des gorilles du chef de Spectre, interprété par le catcheur Batista, figure une violence sèche et pour le coup assez bien filmée, toute la tension générée est désamorcée par un trait d'humour peu judicieux avec Batista qui prononce son seul mot du film au moment de sa défaite, un simple "shit" qui n'a pas lieu d'être dans cette scène.


Je pourrais dérouler un certain nombre d'exemples mais on décèle aisément le point noir de ce Spectre : c'est son écriture, pourtant orchestrée par deux précédents contributeurs de la saga, qui avaient notamment travaillé sur Casino Royale (!). Ce défaut central trouve son apogée dans la résolution du long-métrage avec les explications du grand méchant du film, Frantz, interprétée de manière clichée par Christoph Waltz. Ce dernier met la terre à feu et à sang pour une raison invraisemblable qui fait office de blague involontaire : ses parents sont les mêmes que ceux qui ont adopté James Bond et son père préférait emmener skier le futur agent secret plutôt que lui. Depuis quatre films, James Bond subit tous les maux possibles avec la perte de Vesper Lynd ainsi que celle de M et la raison invoquée pour justifier tous ces méfaits est une simple sortie au ski un samedi après-midi avec un enfant adopté plutôt qu'un fils. On passera la scène d'action finale grand-guignolesque (bien qu'il faille la voir pour le croire) pour s'apercevoir qu'il ne reste que peu de choses à sauver dans ce film à l'arrivée du générique de fin. Le casting reste correct, Craig est évidemment charismatique, Seydoux ne démérite pas pour un de ses premiers rôles dans une superproduction américaine et Ralph Fiennes est une valeur sure. La qualité formelle est au rendez-vous (en même temps, avec un budget estimé à 350 millions d'euros...) même si les choix de montage nuisent inévitablement à l'action.


A trop vouloir respecter le cahier des charges "bondien" en nous faisant voyager de Tanger à Rome en passant par Londres, en nous faisant vivre des scènes d'action où un avion devient un jet-ski et en nous servant un méchant aux motivations à la lisière du risible, le film est frappant par sa difficulté à conclure de manière crédible l'un des pans les plus intéressants de la saga James Bond.


Critique rédigée en 2017

Twombly
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le 16 avr. 2019

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