"120 battements par minute" de "Robin Campillo". 2017.
Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d'Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l'indifférence générale. Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par Sean qui consume ses dernières forces dans l'action.
Un film ou le spectateur est invité à partager avec les personnages la colère, la fièvre et même la sueur en le situant à la limite exacte de la peau.
Un film ou le spectateur est invité à partager avec les personnages la colère, la fièvre et même la sueur en le situant à la limite exacte de la peau.
"Campillo" revit ces années de lutte frénétique pour que nous n'oubliions pas ce qui s'est passé.
Mais là où le film triomphe sans hésitation, c'est dans le domaine de l'intime, dans l'histoire d'amour. C'est là que se livre la véritable bataille du film, sans didactisme.
C’est un film inconfortable qui ne fait aucune concession . La controverse, car il y en a eu évidemment ne s'est pas porté sur la représentation question du VIH, ni sur celle de l’homosexualité, de la liberté sexuelle ou de l’activisme. Mais sur l'aspect réaliste du film : Campillo refuse de purifier ou d' embellir.
Il s'agit d'un film tourné principalement en intérieur, avec des plans volontairement faits pour provoquer un certain sentiment de claustrophobie chez le spectateur. Signe de rejet d'un académisme accommodant pour le grand public, même si la direction est plus conventionnelle que révolutionnaire. A l'exception de quelques plans de mer sans dialogue qui nous donnent une pause avant le coup d'émotion final, seules les manifestations sont tournées en extérieur, avec des plans ouverts, dont la grandeur sera ainsi révélée doublement au public.
Une œuvre pleine d’émotions qui évite néanmoins à tout moment l’effet lacrymogène facile. Chaque fois que "Campillo" aurait pu tomber dans le kitch romantique , un rire, une grossièreté ou une situation choquante nous ramène au groupe de jeunes, brutaux, ironiques et frivoles quand il le faut, restaurant ainsi la gravité de son propos.
Il semblerait que le film n’ait pas plu à tous les membres d’Act up, ce qui n’est pas surprenant : Tout au long des deux heures et demie du film, on assiste à des débats internes compliqués et délicats sur la feuille de route de l'organisation. On y discute de sujets qui n'auraient jamais traversé l'esprit d'une personne extérieure à l'association. Face à une telle pluralité de pensées, il n’est pas difficile de comprendre la difficulté de trouver l’unanimité. C'est même un soulagement de voir que de telles discussions existent pour le bien de la raison.
Mais quel que soit le portrait, fidèle ou non, que le cinéaste a dressé d'"Act up", ce qui compte, c'est le message qui nous est transmis : Dans l'un des intermèdes du film, l'un des personnages raconte les événements survenus lors de la Commune de Paris tandis que des images de la Fierté parisienne défilent à l'écran. La Gay Pride comme révolution, la population opprimée arpentant les rues pour réclamer ses droits. Les échos de "Derek Jarman", cinéaste militant queer par excellence, et de son Edward II résonnent partout : Dans ce film se mélangeait des images de manifestants de la Gay Pride luttant pour leur survie avec celles de personnages historiques qui s'opposèrent à l'idylle du monarque anglais le conduisant là aussi à une mort épouvantable... Là comme dans ce "120 battements par minute" il s'agit de héros luttant sous un drapeau arc en ciel..
Tout cela prend tout son sens dans la dernière partie, qui nous montre qu'après la tragédie, il y a une suite. Une obligation morale qui ne doit pas être détruite par la douleur, mais aussi une liberté, un droit au plaisir et au bonheur.
« 120 battements par minute » c'est du cinéma social et politique ; Il ne s'adresse peutêtre pas au spectateur moyen : Il révèle l'irresponsabilité de différentes organisations et institutions qui, à l'époque, laissaient mourir des centaines de personnes parce qu'elles étaient considérées comme des « citoyens de seconde zone ». Il confronte les grandes sociétés pharmaceutiques de l’époque et leur inefficacité dans la recherche pour stopper les décès qui augmenteraient de façon exorbitante chaque jour. Il révèle le rôle que les médias ont joué dans leur omission de la vérité et fait allusion à l'insensibilité des dirigeants politiques de ces années-là, qui se souciaient peu de faire quelque chose de vraiment utile à ce sujet.
L'intention de "Campillo" me semble évidente : en exposant ce type de problèmes aux nouvelles génération pour qui ces histoires relèvent de la préhistoire, il prône une mémoire sociale et instaure une communication avec le jeune public grâce à une intrigue pleine de sensibilité et de crudité. Lui qui a participé aux manifestations d'Act-up de ces années-là dans la vraie vie, montre une vérité sombre et cruel, il n'invente rien de ce qu'il expose à l'écran et présente une belle histoire d'amour dans un scénario où il semble que ce soit la dernière chose auquel on aurait pu s'attendre.
Film irrévérencieux et inconfortable qui se concentre sur ceux qui ont eu le courage de résister au pouvoir institutionnel ou économique, et qui ont rejeté à la fois l'autoritarisme des gouvernements et la docilité et l'indulgence de ceux qui, en théorie, font aussi partie de la lutte mais préféraient la voir de loin.
#henrimesquida #cinemaetlitteraturegay