Les mouvements activistes, quelque soit leur sujet de lutte reposent sur une ambiguïté: pour faire passer leur message leurs actions lorgnent souvent du côté de la violence, ce qui noie leurs revendications dans le tumulte qu’ils ont créé.
Difficile d’adhérer complètement à leur combat quand les méthodes semblent trop dures, et en même temps les entendrait-on s’ils ne menaient pas d’actions d’envergure?
C’était encore plus vrai et nécessaire à une époque où les moyens de communication n’étaient pas aussi accessibles qu’aujourd’hui et où l’information n’était diffusée que par les médias traditionnels.
L’introduction du film met immédiatement en scène une action d’act’up et en parallèle la réunion hebdomadaire pendant laquelle les protagonistes reviennent sur l’évènement.
En quelques minutes on a déjà tout: l’organisation de l’association, les individus qui la composent et leurs différences, la multitude de terrains sur lesquels il faut se battre: prévention, accès aux résultats de tests des traitements, accès aux soins, besoin d’être humanisé, d’être considéré.
On voit directement les dissensions qui animent et menacent le groupe sans oublier la réalité de la maladie qui touche la majorité des adhérents.
Le combat il est partout et il est tout le temps. Sans en avoir l’air le film nous fait plonger dans une époque et un milieu qu’on n’a pas ou peu connu, nous rappelle qu’au delà de la maladie, l’indifférence, la stigmatisation, le silence et la méfiance sont des épreuves supplémentaires.
Se savoir condamné, essayer de s’en sortir, voir ses potes tomber et se sentir démuni, c’est un peu comme si on assistait au ralentis à son propre enterrement, et que tout le monde s’en fichait éperdument.
Tout ça nous arrive en pleine face au ralentis aussi, parce qu’au départ on n’a pas le sentiment d’être totalement happé par l’histoire: on connait déjà beaucoup de choses sur le sujet, et les premières réunions d’act’up donnent surtout l’impression de mettre en scène de grande gueules qui confrontent leurs égos.
On identifie sans peine les principaux orateurs, leurs idées mais on ne peut pas dire qu’on se sente vraiment proche de l’un ou de l’autre.
La première moitié du film est un bon docu-fiction, c’est touchant parce que le sujet fait mal, c'est instructif mais loin de la claque qu’on nous promettait.
Et puis sans prévenir on bascule dans une deuxième partie où les réunions passent au second plan. Au milieu des fortes têtes qu’on suit dès le départ, le timide Jérémie semblait presque anecdotique. Il était gentil et discret, et il suffit de quelques scènes pour qu’on se souvienne de l’urgence qui les anime tous, de la réalité.
Pourtant depuis le début on n’avait pas le sentiment d’oublier quoi que ce soit, mais on se tenait à distance raisonnable. Exactement comme on n'avait pas senti avant de voir le film la nécessité d'en remettre une couche sur un sujet qu'on connait déjà. La plongée se fait donc en deux temps: dans un premier temps on replante le décors, puis on entame la descente dans quelque chose de plus intime.
C’est comme si en visitant un musée on ouvrait soudain un pan de tableau pour nous permettre d'intégrer l’œuvre pour mieux en saisir le sens.
On bascule alors dans une partie plus intimiste: toujours dans le même cadre mais cette fois-ci on zoome sur Sean et Nathan.
Sean, c’est celui qui nous agaçait dans ses premières scènes, parce que trop folle, parce qu’un peu prétentieux, entier, et parfois cassant avec les autres quand il n’est pas d’accord..
Et pourtant c’est par son combat et son histoire avec Nathan qu’on va toucher au coeur du film - et à celui du spectateur.
Parce que leurs scènes sont pleines de justesse, qu’on ne glorifie pas le personnage de Sean: la scène avec la maman de Marco est là pour nous rappeler qu’on a beau suivre un personnage, ça n’en fait pas un angelot pour autant.
Et puis le point d'orgue arrive: quelques passages à la fin sont magnifiques parce qu’ils arrivent à aborder un moment difficile avec poésie. La maman de Sean et les échanges avec les différents membres de l’association sont de vrais morceaux de vie, où on prépare un café, où on a des regards mi-gentils mi-patauds, où le moindre geste devient un réconfort. Ne pas voir les gens pleurer comme des madeleines mais voir qu'ils restent debout, difficilement, mais debout quand même, c'est un beau message.
Arriver à montrer de la vie dans le moment le plus tire-larmes du film, éviter de tomber dans des facilités, c’est un bel exploit.
La force du film ne se dévoile qu’à la toute fin: on aurait pu lui reprocher pas mal de choses tout le long, on les oublie d’un coup.
Avec le recul, 120 battements par minutes permet de rappeler ce qu’a été la lutte à une époque où elle n'intéressait personne, met en avant les évolutions en matière de préventions, nous dit que si nous avons pu être informés dès le collège des risques, des dépistages, etc, c’est peut-être parce que des gens se sont mobilisés pour qu’on le soit, nous rappelle que certains combats ne sont légitimés qu’avec le temps.
Le problème, c’est qu’en voyant un film aussi ancré dans son époque, on a du mal à l’imaginer autrement que comme un témoin historique, et on oublierai facilement que le VIH existe et tue encore, qu’on n’a toujours pas trouvé de vaccin, et qu’il reste un combat contemporain.
En sortant d’un film comme 120 battements par minute, on pourrait croire qu’on referme la parenthèse désenchantée, alors que même si on a fait des progrès sur les traitements, sur la prévention, sur beaucoup de choses évoquées dans le film, rien n’est réellement fini.
120 battements par minutes est un film nécessaire, qui révèle sa force dans ses dernières minutes et dans son prolongement. Il est de ces œuvres capables d’accompagner le spectateur pendant plusieurs jours, et capable de nous marquer encore pendant longtemps.