Il suffit parfois d’un rien pour qu’une vie ne bascule. Un petit tour sur les quais de Seine pour fumer une cigarette, une rencontre fortuite, et tout s’enclenche, sans rien n’avoir demandé au préalable. Le coup du sort, c’est le cœur de 125, rue Montmartre, un très bon polar / film noir à la française, qui gagne à être connu.


En tant que crieur, le quotidien de Pascal consiste à écouler le plus d’exemplaires possibles de France Soir au cours de sa journée afin de gagner suffisamment de quoi vivre correctement. Il n’a pas besoin de grand chose, et ne demande pas beaucoup plus en retour. Une routine simple, celle d’un type lambda qui fait son trou à Paris. Jusqu’à ce qu’un inconnu décide se jeter dans la Seine devant ses yeux, poussant le spécialiste dans la vente de journaux à se muer en sauveur de fortune pour aider ce pauvre bougre qui semblait avoir décidé d’en finir sans qu’on ne sache pourquoi. Sans qu’il le sache encore, cette rencontre va l’embarquer dans un vrai pétrin qui aurait de quoi lui faire regretter d’avoir eu un geste généreux cette après-midi là.


Lino Ventura avait déjà bien connu le succès avec Touchez pas au grisbi (1954), mais, à l’époque de 125, rue Montmartre, il était encore au début de l’histoire. C’est le moment où sa carrière prend un élan, auprès de cinéastes reconnus, et qu’il commence à se faire une place dans le milieu. Son physique atypique n’y est pas étranger, et il est certain que son allure, son phrasé et son charisme naturels correspondaient parfaitement au rôle principal du film de Gilles Grangier. Le personnage de Lino Ventura est comme une véritable force de la nature, et pourtant, il est aussi vulnérable et égaré que le spectateur dans cette sombre histoire qui cache de nombreux secrets.


Le drame social vire en film policier dans la seconde moitié du film, voyant Pascal devenir coupable de ce qu’il n’a vraisemblablement pas commis. Et c’est à ce moment que le spectateur se retrouve pleinement embarqué dans l’histoire, grâce à une narration efficace qui nous tient en haleine. Paradoxalement, on est démunis face à la situation, tout en se doutant fortement de ce qui se cache derrière tout cela. Et pourtant, ce n’est pas ce qui gâche notre plaisir devant le film, car celui-ci est ailleurs. La fragilité du viril Pascal, l’intelligence et le discernement du commissaire, le machiavélisme de la veuve éplorée, les dialogues signés Michel Audiard… La recette fonctionne, et on se prend facilement au jeu.


Il est difficile de s’étendre davantage sans risquer de mentionner des éléments-clé de l’intrigue, pouvant quelque peu gâcher l’effet de surprise. Et si la qualité d’un film ne doit pas tenir qu’aux spoilers qu’il peut renfermer, moins on en sait, plus on a de chances de l’apprécier au maximum. Car 125, rue Montmartre est le genre de film qui montre qu’il n’est pas nécessaire d’en faire trop pour produire de la qualité. Sans jamais sembler avoir une prétention autre que de nous embarquer dans une intrigue policière où hasards, mensonges et manipulation sont les maîtres mots, le film fait preuve d’une efficacité impressionnante. Le spectateur amateur de ce genre d’œuvre ne pourra que se satisfaire de ce film relativement méconnu, en dépit de sa grande qualité.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 14 nov. 2022

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