On avait vu dans Hunger une première œuvre formidable, où un plan séquence de près de vingt minutes mettait en lumière la souffrance d'un héros révolté. On avait vu dans Shame un tout autre film où l'esthétisme parfois gratuit laissait la place à une fin plus que douteuse, qui relatait aussi le supplice d'un homme. L'autre Steve McQueen du cinéma revient avec son dernier film, grand favoris aux oscars, sur le calvaire (encore) de son personnage, devenu esclave pour une durée de douze ans.
Le film raconte donc l'histoire de Solomon Northup au milieu du XIXe siècle, américain noir père de famille qui se fait, du jour au lendemain, kidnapper, enchaîner et vendre en tant qu'esclave dans le sud du pays. On se demandait comment Steve McQueen allait aborder cette histoire (vraie) très hollywoodienne. Et étonnamment il le fait de manière très conventionnelle, loin de la réalisation pseudo-artistique de Shame. Le film semble même taillé pour les oscars, il suffit de voir cette fin dispensable, tire-larme au possible, pour s'en convaincre. La mise en scène originale de Hunger et de Shame, notamment ces long plans-séquences significatifs, a laissé place à un récit tailladé avec des ellipses mal utilisées. Douze ans d'esclavage quand on a l'impression d'en avoir vécu deux. Quant aux dialogues, ils ne cessent de répéter ce qu'on a déjà vu.
En revanche, on ne peut enlever à McQueen sa capacité à fabriquer des images magnifiques. C'est d'évidence un grand réalisateur. Chaque cadre est travaillé, chaque plan est magnifié par un reflet de soleil couchant ou une lune rosée au-dessus d'un champ un coton. Steve McQueen filme le sud des États-Unis à la manière d'un Terrence Malick. Ce qui n'est pas peu dire.
Là où le bât blesse, c'est que si chez l'un les plans sont tous teintés d'une poésie significative, chez l'autre ils sont purement décoratifs. Les doutes qu'avait laissé Shame se sont malheureusement confirmés dans 12 Years a Slave. La problématique de ce film, aussi bien réalisé soit-il, est le décalage total entre son fond et sa forme. Steve McQueen filme bien l'affliction d'un homme et nous fait parfaitement ressentir son supplice, laissant le spectateur broyé à la sortie du film. Mais Steve McQueen ne nous dit rien. La beauté de ses plans s'avère complètement contre-productive et sa réalisation est une nouvelle fois tape à l’œil, avec pourtant un sujet bien plus délicat que ses films précédents. Une scène de viol ou de pendaison filmée avec une magnifique lune rosée ou un très beau soleil couchant, juste pour le plaisir des yeux, en devient difficilement supportable. Cette façon de réaliser complaisante déshonore ce réalisateur au talent très mal utilisé. Ces 120 minutes entravent le spectateur, obligé de supporter la putasserie de son auteur et de pleurer devant cette histoire forcément larmoyante.
Si Steve McQueen veut devenir un grand cinéaste, il devra à l'avenir adapter la forme de son film à son propos et ne pas rester dans la complaisance. Être un grand réalisateur d'image ne suffit pas à devenir un grand cinéaste.