Un spécimen bien curieux et schizophrène que ce 12 Years A Slave, tiraillé entre machine à Oscars édifiante et intransigeance de cinéma d'auteur. S'y croisent ainsi partitions lacrymales (signées Hans Zimmer, qui reprend ici quasiment à l'exacte celle d'Inception en mode pilote automatique) et prestations habitées de circonstance (derrière le convaincant premier rôle Chiwetel Ejiofor, des numéros des bien-aimés Fassbender ou Paulson...) avec longs travellings et plans fixes parfois insoutenables voire obscènes et déconstruction elliptique de la narration pour une perception la plus physique possible du martyre de son héros. Contre toute attente, c'est plutôt dans son versant de fresque hollywoodienne intense corsée par la radicalité de la mise en scène que le film s'impose. Car le versant plus théorique, celui d'une exploration viscérale du corps, ses limites, ses souffrances, son avilissement (le grand sujet de Steve MacQueen, traité brillamment dans Hunger et selon moi un peu plus laborieusement dans le suivant Shame) souffre davantage de cet équilibre précaire qui le précipite parfois dans la même abstraction un peu (paradoxalement) désincarnée qui contaminait déjà son précédent effort : à force d'insister sur la durée des plans, d'étirer son récit litanique jusqu'à l'épuisement, tout en se refusant à un point de vue au-delà d'une solennité un peu pesante (rendue encore plus prégnante par l'inévitable manichéisme du sujet), 12 Years A Slave finit par perdre en substance et en densité, et renoncera sagement à son exigence pour revenir sur la fin aux sirènes plus sûres du happy ending. Mais dans l'ensemble, à l'image de cette fin consensuelle mais plutôt digne, le film, tenant miraculeusement la distance entre les deux pôles à 180 degrés de l'édulcoré et de l'égo auteuriste, trouve un juste milieu assez saisissant et haletant, sans être le coup de fouet (pardon) qu'il rêve d'être.